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Critique de LaBiblidOnee


Un pari risqué pour Yasmin KHADRA, qui fait raconter son histoire par l'un des kamikazes du 13 novembre 2015 à Paris. Forcément, lorsqu'un roman s'inspire d'un fait réel, on en attend beaucoup. Quand par dessus le marché, l'évènement est raconté de l'intérieur et, qui plus est, par la partie dont le comportement est indéfendable aux yeux de tous, la tâche est ardue. Comment nous faire comprendre l'incompréhensible… Ou même faire accepter au lecteur de se mettre dans la peau de quelqu'un qu'il rejette a priori, tout en lui faisant aimer le roman ? L'auteur va-t-il essayer de nous rendre le personnage attachant ? Va-t-il nous dévoiler ou inventer des faits qui expliqueront ce s'est produit ce jour-là ? Et surtout, pourrons-nous enfin comprendre quel chemin de vie peut conduire à l'innommable …?

Khalil a grandi dans une banlieue belge désormais tristement célèbre, avec une mère transparente qui ne forçait pas son estime, un père pas très aimant qui buvait beaucoup, et une soeur jumelle, la seule personne qui comptait réellement pour lui. Il ne s'est jamais senti important pour les siens, ni intégré dans la société qui les rejette ou les tolère à peine. Alors, lorsque des « frères » de la mosquée trouvent les mots pour qu'il se sente entouré et important, Khalil croit trouver enfin sa place, et est prêt à tout pour ne pas décevoir « ses frères » et la conserver : Ce soir, Khalil est déterminé à se faire exploser pour tuer des milliers de gens. D'autant que s'il y arrive, on ne lui promet pas un gros salaire ou une jolie femme, mais rien de moins que le Paradis…

"Pourquoi ? hurla-t-il. Pour le paradis ? Il est autour de toi, en vrai. Regarde comme la campagne est belle. Il y a des oiseaux dans les arbres et tu peux courir dans les champs jusqu'à tomber dans les pommes. Si tu n'es pas content, attends le printemps. Mais qu'est-ce que tu as dans le crâne ?"

*****

J'ai été plutôt impressionnée par la capacité de l'auteur à écrire, en si peu de pages, un roman assez complet sur un thème difficile. Même si du coup, la psychologie des personnages n'est pas extrêmement développée, les faits parlent d'eux-mêmes et la narration par le personnage principal fait le reste : Les ingrédients sont assez bien dosés pour nous faire comprendre l'engrenage tout en restant facile à lire : sans voyeurisme, sans en faire trop dans un sens ou dans l'autre. On ne trouve pas de grandes révélations sur les faits, ni de grande découvertes sur la psychologie du kamikaze dans ce roman : On assiste simplement à l'empilement de détails dans la vie de Khalil qui font qu'aujourd'hui, il en est là. Et en l'écoutant, on visualise un peu mieux le cheminement, faute de pouvoir le comprendre totalement, ni encore moins l'excuser... Plus surprenant, en me faisant entrer dans la vie de Khalil, l'auteur est parvenu à ne pas me le faire totalement détester - même si je ne peux pas dire que je l'ai aimé non-plus. On se dit que les méchants, ce sont ceux qui l'embrigadent. Mais si l'on y réfléchit, il doit se passer dans leur tête et dans leur vie la même chose que dans celles de Khalil. Alors que faire pour enrayer ce processus, est-ce possible une fois parvenu à de tels extrêmes ?

"Ce qui se passe est l'aboutissement logique d'un processus aussi vieux que l'instinct grégaire : l'exclusion exacerbe les susceptibilités, les susceptibilités provoquent la frustration, la frustration engendre la haine et la haine conduit à la violence. C'est mathématique."

On ressent bien, avec Khalil, combien les paliers déjà franchis vers l'extrêmisme et les barrières érigées pour se protéger de tout sentiment rendent le dialogue apparemment inefficace, du moins au début. Et si l'on connait les arguments des différentes parties, c'est la manière apaisée de les poser qui rend ce roman touchant, peut-être utile. On se souvient avec Khalil de l'engrenage du quotidien qui l'a amené à vouloir devenir kamikaze. Pas de grands événements à première vue, mais de petites choses qui, bout à bout, le fragilisent et l'amènent à écouter les mauvaises personnes. Pourtant, on veut croire, un peu désespérément, qu'avec les mots de son meilleur ami Rayan ou encore l'amour de sa soeur jumelle, rien n'est encore perdu, qu'il ne faut jamais abandonner, jamais cesser de communiquer ; Que les mots peuvent encore faire leur chemin, les actes aussi ; Que l'amitié, la chaleur, les sentiments qui ne sont qu'enterrés vivant peuvent toujours remonter à la surface et faire la différence. C'est un roman qui donne envie de se battre avec tout l'amour dont nous sommes capables, car c'est finalement notre arme la plus redoutable.

"Dieu n'est pas un chef de guerre, encore moins le parrain d'une organisation criminelle. Il est écrit dans le Coran que celui qui tue un être aura tué l'humanité entière. Alors, à quoi riment ces massacres gratuits ? Pourquoi faut-il faire croire que lorsque le muezzin appelle à la prière, c'est l'appel à l'agonie que l'on doit entendre ?"

J'ai découvert Yasmin KHADRA avec « l'attentat », et « Khalil » n'est que le deuxième roman que je lis de cet auteur, mais ce ne sera pas le dernier. La complémentarité de ces deux récits est vraiment intéressante, leurs points de vue différents sont enrichissants. Dans les deux cas, sans tomber dans l'excès consistant à nous rendre les terroristes inhumains, ou au contraire plus humains que les victimes, ce qui nous ferait rejeter le roman et ses messages, l'auteur parvient à conserver un certain recul dans ses récits malgré la dureté apparente de certains personnages ou situations. Je vous invite à lire ces romans, que le format court, s'il les rend psychologiquement un peu moins profonds que ce à quoi on pourrait s'attendre pour ces thématiques, rend parfaitement abordables par le plus grand nombre - c'est à dire même par les plus sensibles d'entre nous je pense - tout en gardant la part belle au réalisme.
Un grand merci aux masses critiques de Babelio et aux éditions Julliard.
Lien : http://onee-chan-a-lu.public..
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