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Citations sur La Vallée des Lazhars (14)

J’ai pris l’habitude de décrire cela ainsi : nous vivions sur le pas d’une porte qui séparait nos deux identités. Nous passions d’une pièce à l’autre, tâchant d’explorer chacune autant que possible, avec la peur permanente, si nous pénétrions trop avant dans l’une, que la porte se referme sur nous et nous fasse oublier l’autre. Alors nous habitions un espace sur le pas de cette porte, nous existions dans cette zone inconfortable que nous aimions. Grandir, pour nous, c’était trouver l’équilibre qui nous convenait ; pour ma part, je voulais être en expansion, j’allais toujours plus loin dans l’une et l’autre.
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L’été s’achevait, très vite je reprendrais mes habitudes et mes relations en France, et la vie vécue aux Lazhars serait brusquement rompue. C’était un curieux phénomène, cette migration annuelle de milliers de familles sur les routes de France et d’Espagne. Un cortège de Renault Espace, de Renault trafic, de Peugeot J5. Pour toute une génération, le voyage dans ces camionnettes inconfortables était naturel. Elles transportaient des familles nombreuses en leur sein et des vies entières sur leurs porte-bagages. Partir moins chargé n’était pas envisageable, parce que nous n’allions pas en vacances, nous n’allions pas nous détendre ni explorer des terres, ce n’était pas du tourisme : c’était un déménagement. Nous allions vivre notre deuxième vie où, en même temps que notre langue, notre personnalité entière changeait.
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C’était une des incohérences de notre situation, quand nous allions au pays, l’été. En un mois, on s’habituait aux gens, on devenait proches d’eux, comme s’ils faisaient partie de nos vies, comme si on faisait partie des leurs. En réalité, ça n’était pas le cas. Chaque été, on les retrouvait changés, ils avaient évolué, nous aussi, et l’on devait s’adapter comme si l’on rencontrait de nouvelles personnes. Je ne pouvais pas faire entièrement partie de la vie des Lazharis, parce que la vie, c’était ce qui s’écoulait entre mes séjours ici, en mon absence.
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C’est un sentiment étrange : chaque fois, face à cette vallée dont je maîtrisais mal la langue et les coutumes, je me sentais arrivé. J’admirais longuement les reliefs de ce paysage qui avait vu naître mon père. Pour décrire cette sensation lorsqu’on plonge le regard en contrebas dans la vallée des Lazhars, mon père a toujours parlé d’”étendre ses yeux”, comme on parle d’étendre ses jambes après une journée éprouvante. Je n’ai jamais trouvé mieux pour décrire cette expérience.
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Je secouais la tête, incrédule.
- Pourquoi est-on allés chez eux aujourd’hui ?
- Ils nous ont invités.
- Mais on ne les aime pas, et c’est réciproque…
- Eh bien, souviens-t’en : notre famille est hospitalière avec son pire ennemi, si son pire ennemi tombe malade, elle va à son chevet, s’il meurt, elle le porte dans son linceul jusqu’au cimetière. C’est pareil pour eux.
- C’est idiot. J’ai perdu une après-midi avec des gens que je n’aime pas.
- Quand ils t’invitent, tu acceptes leur hospitalité. Et quand ils viennent chez toi, tu accueilles avec hospitalité. Quand tu hais, il n’y a que l’hospitalité qui te permet de ne pas oublier ce qui est important.
Il s’était arrêté pour me parler en me regardant dans les yeux : je rougis. Je n’étais pas habitué à ce ton solennel de la part de mon père, alors je fis une grimace sceptique, par pudeur. Il me saisit par le bras et repris patiemment :
- Une naissance, un mariage, une mort, ça, c’est important. L’hospitalité fait que tu es avec eux lors de chacun de ces événements. Tu les hais, mais tu n’oublies jamais qu’ils sont heureux ou malheureux des mêmes choses que toi, qu’on a ce point en commun.
- Et qu’est-ce que ça fait, qu’on ait ce point en commun ?
- Ca fait qu’on ne s’entretue pas, répondit mon père, la mine grave. On ne s’entretue pas parce qu’on est mortels, qu’on est semblables, on meurt et on donne naissance. Tu ne tues pas celui que tu as félicité pour la naissance de son enfant. Si tu oublies ça, si tu ne rends pas visite à ton ennemi, tu t’enterres dans ta haine, tu deviens mesquin, et être mesquin, c’est la pire des choses. Etre mesquin, c’est oublier la mort, et oublier la mort, c’est oublier Dieu.
Il me relâcha, se remit en marche et conclut en reprenant son sourire ironique :
- Cette hospitalité est notre unique titre de noblesse. Elle nous permet de haïr sans jamais en venir au meurtre. Les Ayami ont cette noblesse, et les Hokbani aussi. C’est ça, être lazhari.
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Ce qui rend une personne brillante, ça n’est pas sa capacité à parler de sujets profonds, mais celle de rendre profondes les choses les plus futiles.
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Chez les jeunes Marocains de ces régions isolées, j’ai toujours discerné deux attitudes récurrentes à mon égard. Certains se montraient indifférents, n’accordant pas d’attention à un Européen qui serait ici pour un mois tout au plus. Bientôt je reprendrais l’avion et eux resteraient à leur quotidien d’ici ; entretenir de bons rapports avec moi était inutile, ils n’influenceraient pas leur vie. D’autres avaient une attitude différente. Pour eux, j’étais une créature improbable : j’étais tout à fait étranger, bien que partageant leur langue, leur religion et même, parfois, leur sang.
Parmi tous ces gens, certains nous appelaient les « vacanciyines », d’autres nous réservaient un sobriquet plus agressif et dérivé d’« immigrés », les « zmagrias » ; j'avais appris à me méfier de ces derniers.
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Les terres d’origine s’oublient, les dynasties s’exilent, et si l’on n’y prend pas garde, très vite, rien ne subsiste de nous ni de nos parents…
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Si toute généalogie prend la forme d'un arbre, la tienne commence par une bouture. Ton arrière-grand-père a quitté son Maroc natal à dix-neuf ans. Il est arrivé en France au début des années soixante, vite rejoint par son épouse ; j'ai été leur seul enfant, héritant des racines mais planté dans un terreau nouveau.
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Quand tu hais, il n'y a que l'hospitalité qui te permet de ne pas oublier ce qui est important.
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