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Critique de Foxfire


Même si je pense que King n'est jamais meilleur que lorsqu'il écrit des romans fleuves, j'ai toujours apprécié ses nouvelles. C'est donc avec grand plaisir que je me suis plongée dans ce "bazar des mauvais rêves". Comme tout recueil, le résultat est inégal, il y a de l'excellent, du bon et du moins bon.

Je vais commencer par ce qui fâche, une nouvelle qui m'a mise en rogne, tant par sa faible qualité que par son propos. Ecrite à l'occasion du lancement de la Kindle, "Ur" met en scène la liseuse d'Amazon. Je ne suis pas forcément hostile au concept, d'autant plus que l'intrigue est plutôt sympa. Mais, une fois n'est pas coutume, c'est le traitement qui pêche. Il y a de grosses longueurs, je me suis souvent ennuyée. Et le récit ressemble parfois à une longue publicité. Je n'ai pas compter combien de fois les mots "kindle" et "amazon" apparaissaient mais c'est juste insupportable et transforme une histoire qui aurait pu être efficace en un produit bassement mercantile. Quant à certaines réflexions, je ne les ai simplement pas digérées. Je suis adepte de la lecture sur support papier, et je n'ai aucune intention de me mettre à la liseuse. Je comprends tout à fait qu'on puisse lire de cette façon (gain de place, économies) mais je n'apprécie pas que mon choix soit moqué par l'auteur. Libre à moi de penser que rien ne peut remplacer un livre papier et je pense que cette opinion ne fait pas de moi une ringarde, ou une "ancienne" selon les termes de King. Lorsque le personnage principal, d'abord hostile avant de succomber à la liseuse, dit à ses élèves (il est prof de lettres) que les livres sont des objets réels, des amis, évoquant l'odeur et le bruit du papier, il se voit répondre que les livres ce sont des idées et des émotions et que seul le contenu compte. Certes, le contenu reste le plus important mais l'émotion ne vient pas que des mots. Les sensations viennent aussi d'un rituel de lecture. La 1ère émotion que je ressens avec un livre est sensorielle, le toucher, la vue, l'odorat... Et selon moi, un des trésors offerts par la littérature est l'échange. Vous me direz qu'on peut partager des livres numériques. Certes. Mais ce partage n'est pas tout à fait le même qu'avec un livre papier, tout comme l'échange de fichiers MP3 n'a pas la même valeur émotionnelle que celui d'un vrai disque. Et j'ai bondi lorsqu'au détour d'une phrase le narrateur dit qu'il va en librairie "en partie mû par la pitié" car "même le chat qui passait le plus clair de sa vie à somnoler dans la vitrine paraissait mal nourri". Alors là, Stephen, ça ne passe pas. Si les libraires sont "mal nourris" c'est en grande partie à cause d'Amazon et consorts. Et l'amour des livres, c'est là qu'il est, en librairie, pas dans les entrepôts géants d'Amazon. Ce n'est pas par pitié que j'achète en priorité en librairie. C'est d'abord pour moi un acte de résistance (à petite échelle). Ensuite, c'est pour moi un plaisir, une joie que d'entrer dans un endroit rempli à craquer de bouquins. Et puis, un libraire qui parle et conseille avec passion, c'est autre chose qu'un algorithme "si vous avez aimé cela, vous aimerez...". Bref, sur ce coup King m'a vraiment déçue.

Mais je ne peux pas rester fâchée longtemps avec mon vieux pote Stephen lorsque je lis des petits bijoux tels que "Mile 81", "Morale", "Herman Wouk est en vie", "A la dure" ou "Nécro".
Si on retrouve certains éléments très classiques chez King (l'alcoolisme qui est un thème récurrent, les portraits de l'enfance toujours aussi justes, les héros écrivains...), on sent aussi que King a vieilli. La nostalgie de l'enfance est un peu moins au coeur des récits. Les thèmes de la vieillesse et des liens familiaux prennent une place très importante (évolution déjà visible dans les derniers romans du maître). A l'instar de "Premium Harmony", récit sans aucun élément surnaturel qui évoque la banalité d'une vie ordinaire avec justesse et subtilité. "Batman et Robin ont un accrochage" fait également la part belle à l'intime avec ce portrait d'un homme et son père atteint d'alzheimer. le ton réaliste et émouvant de cette tranche de vie se conclut sur une explosion de violence suffocante.
Certaines nouvelles sont aussi l'occasion de découvrir un King différent. Ainsi "Eglise d'ossements", une poésie en prose, révèle une facette inattendue de l'auteur.

Mais la nouvelle qui m'a le plus interpellée est sans conteste "le petit dieu vert de l'agonie". Cette nouvelle que King a écrite à la suite de son grave accident et qui a pour sujet la douleur physique, n'est peut-être pas la meilleure du point de vue littéraire mais elle m'a remuée de façon très intime. C'est à la lecture de ce genre de récit que je me dis que King a un talent rare pour mettre des mots sur les sensations les plus difficiles à décrire. Pour avoir connu un épisode de souffrance physique extrême (même si pour moi, cela a duré beaucoup moins longtemps que pour King), j'ai perçu toute la vérité qui transpire de ce récit. C'est à moi que King parlait. Lorsqu'il parle de la douleur comme d'une entité palpable, tangible, qui palpite à l'intérieur de soi, j'ai retrouvé ce que j'avais vécu. Lorsqu'un personnage dit à l'infirmière qu'elle a, la faute à l'usure du métier, oublié la compassion et l'empathie face au malade qui souffre, j'ai lu les mots que j'aurais voulu dire aux infirmières et aux médecins. King évoque si bien la douleur physique, ces moments où le corps n'est que torture, où on a tellement mal que rien n'existe en dehors... On ne se sent pas seul au monde, on se sent dans un autre monde... Et même une fois le corps guéri, une fois la souffrance disparue, on se souvient de ce "voyage au pays de la douleur", on la revit en cauchemars, elle n'atteint plus le corps mais a laissé une marque indélébile sur l'âme.

Rien que pour ce genre de miracles littéraires, Stephen King aura toujours pour moi une place à part, dans ma bibliothèque et dans mon coeur de lectrice.

Challenge Pavés 2016-2017- 4
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