- Aurore, tu as la réponse ?
- Oui, oui, mais j'ai pas la question.
J'aimais vraiment beaucoup parler avec Sliman. Tout était nouveau et troublant dans ce qu'il apportait doucement à ma vie. Comme un vent du désert qui réchauffe et déroute en même temps.
Plus la vie nous cabosse à l'extérieur, plus au-dedans, on s'adoucit. Parce qu'on comprend, au bout d'un moment, que ça ne sert à rien de lutter. Tout passe, et passe, et à force de nous repasser dessus, la vie nous apaise enfin.
Je suis rousse mais j'adore me dorer au soleil. Je suis trop grande avec des seins trop petits. J'ai une grande bouche mais je n'aime pas parler. J'ai des petites oreilles mais j'adore la musique.
Mais, mais, mais... ma vie n'est faite que de mais. Je vous jure que c'est fatigant.
Des grandes filles trop petites encore pour affronter la montagne de la vie, et tous les éboulements qu'on se prend en cascade sur le museau dès qu'on a le dos tourné. Géométriquement, c'est compliqué, ok. Mais c'est bien la preuve que la vie est tordue.
Marcher et réfléchir en même temps, c'est pas idéal, à cause des poteaux, faut faire gaffe.
Ses mains sont drôles. Grandes, toutes ridées à l'extérieur, poilues, avec des petits creux partout, qu'on dirait des nids-de-poule, et des veines longues et fortes comme des lianes d'Amazonie.
Mais quand il serre ma main dans la sienne, je sens juste ses paumes toutes lisses. C'est chaud et rassurant.
C'est peut-être ça, grandir. Plus la vie nous cabosse de l'extérieur, plus au-dedans, on s'adoucit.
Mais, mais, mais... ma vie est faite de mais. Je vous jure que c'est fatiguant. Pour moi surtout. Pour les autres, j'en sais rien, mais je m'en fiche.
Moi je ne lis jamais les prologues, d'accord.
Mais là, c'est important, sinon vous n'allez rien comprendre.
J'aime bien quand le prof referme la porte juste terrière moi d'un geste excédé. Ça me donne l'impression d'être indispensable. Ou en tout cas plus ou moins utile.