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Critique de Renod


Ce premier livre de Phil Klay a été couronné par l'un des prix littéraires les plus prestigieux des Etats-Unis : le National Book Award. Autre reconnaissance, lors de sa parution en France, aux éditions Gallmeister, le recueil a reçu les louanges d'un certain Columm Mc Cann en une du « Monde des Livres ». Je viens modestement prolonger cette série de consécrations en lui décernant 5 étoiles rutilantes sur Babelio.

Phil Klay est un ancien soldat du Corps des Marines qui a effectué une mission de treize mois en Irak entre 2007 et 2008. Une fois démobilisé, il a intégré l'université de New York, dans le cadre d'un programme d'aide aux vétérans, où il a suivi des ateliers d'écriture. J'ouvre une parenthèse : de nombreux écrivains américains de qualité sont issus de ou enseignent dans ces ateliers de « creative writing », ce qui est une preuve de l'importance et de la qualité de ces filières, fin de la parenthèse ! Offrir cet apprentissage à un vétéran a une double utilité. D'une part, écrire a une fonction cathartique – au sens psychanalytique – pour son auteur qui peut ainsi extérioriser et purger ces treize mois lourds d'expériences traumatisantes. D'autre part, ce témoignage sur un conflit récent a une valeur historique et représente un éclairage sur l'état d'esprit des belligérants.

Depuis les origines de la littérature, la guerre a été l'un des thèmes les plus souvent traités. Seule la puissance de l'écrit permet de retranscrire la complexité d'une guerre. Pour établir une compraison, nous pouvons prendre un exemple cinématographique récent sur le thème de l'Irak :« American Sniper ». Dans une scène, le tireur d'élite incarné Bradley Cooper connaît un moment d'hésitation avant d'abattre un enfant qui se lance vers un convoi américain armé d'une charge explosive. L'instant de doute est rendu de manière simpliste quand le texte permet de rendre la longue digestion morale, toute en remords et en culpabilité, de ce type d'acte. le choix d'un recueil de douze nouvelles participe à la volonté de peindre la guerre dans toute sa complexité en permettant la multiplication des points de vue. Parmi la foule de personnages, nous trouvons bien évidemment le combattant, mais aussi l'officier qui traite les questions administratives, l'artilleur éloigné de plusieurs kilomètres de ses cibles, l'aumônier, les soldats du génie chargés de l'entretien des routes, ceux chargé de la propagande ou de ramasser les corps, les agents qui participent à la reconstruction et à la réanimation de l'économie locale, les gueules cassées…

Les thèmes traités sont nombreux. Phil Klay évoque la difficulté du retour à la vie civile dans un monde normal où le soldat se sent étranger, au milieu d'individus avides de témoignages sordides ou qui opposent au vétéran leur condamnation politique du conflit. L'auteur aborde également le questionnement moral du prêtre qui reçoit les confessions de soldats lui indiquant que les « règles d'engagement » ne sont pas toujours respectées et que certains officiers appellent à une violence démesurée sur le terrain. Derrière les fanfaronnades et l'esprit bourrin des marines, Klay fait remonter les atermoiements des soldats face à leur premier tué : il y a ceux qui refusent d'en assumer la responsabilité, ceux qui veulent voir le résultat de leurs tirs, ceux qui compatissent avec leur victime et ressentent des remords. L'auteur montre aussi le quotidien des soldats : la misère sexuelle au cours de la mission mais aussi à leur retour, le stress des déplacements avec l'omniprésence des engins explosifs EEI sur les routes. Dans une courte nouvelle, la guerre est transcrite en termes bruts, ceux utilisés au quotidien, du jargon administratif et opérationnel riche en acronymes (un glossaire aurait d'ailleurs été bien utile au lecteur!). La mascarade de la reconstruction est aussi dénoncée, entre corruption de barons locaux et mise en place de directives inadaptées à la réalité, dans une société écrasée par la violence et les conflits communautaires.

Ces nouvelles présentent de multiples points de vue d'un seul camp : celui de l'armée américaine. Une oeuvre du même acabit avec le regard irakien serait appréciable. Ces textes d'une grande qualité permettent une prise de conscience de la complexité d'un conflit. Phil Klay maîtrise parfaitement l'art de la nouvelle. Un recueil remarquable qui permet d'approndir sa connaissance d'une guerre surmédiatisée dont nous n'avons retenu que les images des journalistes "embedded" et que nous avons déjà commencé à oublier.
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