J'étais partout sauf dans l'instant présent ; un enfant en train de suivre une piste de miettes de pain dans la forêt sans penser à ce qui l'attend plus loin.
Je ne servais à rien. J'aurais dû passer mon bras autour de ses épaules, m'asseoir avec elle et écouter sa musique ; au lieu de quoi j'ai battu en retraite vers la porte. Je me sentais gauche, ici. Il n'y avait pas de directives à suivre, pas de contrat de travail auquel se référer. J'ai toujours été meilleure secrétaire que mère.
Elle a levé son verre, son regard souriant a croisé le mien.
- A Christine ! A-t-elle lancé.
Je ne bois plus de champagne. La seule odeur me retourne le coeur.
La voix de [l'avocat] suivait une mélodie désagréable, teintée de la confiance arrogante d'une petite brute de cour de récré.
J’ai senti l’ancienne Mina revenir dans la pièce. Pleine d’assurance, confiante, hardie.
— Vous savez que je ne vous demanderais pas cela s’il y avait quoi que ce soit d’illégal dans ces cartons. Un autre ?
Elle a pris mon verre et l’a rempli.
— Au fait, je voulais vous dire que la maison en Italie est disponible une partie du mois d’août. Vous aimeriez peut-être y passer une semaine. Avec Angelica. Elle va adorer.
J’avais vu des photos de la maison de Mina en Italie et je savais combien elle y tenait. Seuls la famille et les amis proches y étaient autorisés. C’était vraiment gentil de sa part, et pourtant, j’ai hésité ; je doutais qu’Angelica veuille passer du temps seule avec moi.
— Vous paraissez soucieuse, Christine. Je comprends. Les adolescentes peuvent se montrer difficiles. Peut-être qu’Angelica aimerait emmener des amis ?
Elle a posé sa main sur mon bras.
— Dites-lui donc que je vous ai proposé la maison, mais que vous ne pouvez pas y aller, et suggérez-lui de s’y rendre avec une amie à la place. Je suis sûre qu’elle sera ravie de l’occasion. Et assurez-lui que c’est votre idée.
Elle a cogné son verre contre le mien et a bu une lampée de whisky. J’ai entendu le son d’un glaçon qu’elle croquait.
— Merci, Mina. Si vous êtes sûre…
— Absolument. Vous êtes de la famille, pour moi, Christine, vous le savez.
Elle s’est levée et a attrapé son manteau. J’ai terminé mon verre et me suis apprêtée à partir.
— Vous savez quoi, Christine ? Plus j’y pense et plus je me dis que ce serait aussi bien si vous vous débarrassiez carrément de ces dossiers.
Elle a prononcé ces mots comme si l’idée venait seulement de la traverser, d’une voix douce, comme si nous discutions encore de son invitation en Italie.
— Je ne souhaite rien garder de ce qu’il y a dedans, et ainsi, je n’aurais plus à m’en soucier. Vous pourriez peut-être tout jeter en rentrant chez vous ? Là où vous pensez que c’est le mieux. Je vous laisse décider. Voyez cela comme un brin de ménage.
Je savais ce que c'était, être dans son lit à espérer que quelqu'un vienne nous réconforter. Au bout d'un moment, on apprend à se rassurer soi-même, puis à ne plus pleurer du tout.
Nous étions toutes les deux Balance, Mina et moi, et je nous vois comme les deux extrémités d'une planche à bascule. La balance penchait toujours légérement de son côté, bien-sûr, mais chaque fois qu'elle faiblissait, les poids s'équilibraient et je devenais plus forte.
C'était la vérité qui me posait problème. Les mensonges, je les débitais sans difficulté.
Je m'approche pour me retrouver juste dans son dos. Elle est vraiment trop maigre. Ses omoplates saillent sous son pull. Ces ailes diaboliques.
- Difficile de croire que c'était une maison familiale, non ? ai-je commenté en admirant le majestueux escalier.
Il a haussé les épaules.
- Pour vous et moi, peut-être. Mais ils ne sont pas comme nous, pas vrai ?