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Critique de gerardmuller


La Tour d'Ezra / Arthur Koestler (1905-1983)
Comme des voleurs dans la nuit
En cette nuit de 1937, une colonne de camions tous feux en veilleuse se dirige sur une mauvaise piste de Galilée vers une zone de collines non loin du lac de Tibériade. Dina et Joseph, installés inconfortablement sur une bâche recouvrant la benne de leur camion, plaisantent et se font rappeler à l'ordre par Siméon qui réclame le silence.
Partis à deux heures du matin de la colonie de Gan Tamar située à une vingtaine de kilomètres, ils sont 150 hommes et femmes dont 120 de la colonie de Gan Tamar les accompagnant pour l'installation du camp de base fortifié. Beaucoup sont des « sabras », des jeunes nés en Israël. Les autres viennent pour la plupart d'Europe centrale, ayant fui les pogromes et autres autodafés, notamment la jeune Dina qui est restée marquée à tout jamais. Des membres de l'Haganah dirigés par un certain Bauman, organisation paramilitaire juive assurant la protection des colonies rurales (kibboutzim), les accompagnent.
le pays sous mandat britannique depuis 1923 subit la révolte des Arabes et les Anglais ne se préoccupent pas vraiment du sort des Juifs en général ni du lieu de la future colonie hébraïque en particulier, que les nouveaux colons rejoignent, animés par le rêve romantique et romanesque du Retour pour réaliser une utopie sociale, après deux milles ans d'exil. L'endroit a été acheté aux chefs de villages arabes par le Fonds national et déjà, avant même d'être arrivés, ils ont la tête pleine de projets. La future nouvelle colonie s'appellera la Tour d'Ezra.
Il faut savoir que bien que légalement achetée, la zone est contestée par certains villageois et c'est aujourd'hui la troisième tentative pour s'y rendre, la première ayant échoué sous une volée de pierres, la deuxième, il y a trois mois, sous les balles avec deux futurs colons tués.
le Mukhtar de Kfar Tabiyeh et son fils n'en croient pas leurs yeux au petit matin quand ils aperçoivent sur la colline de l'autre côté de la vallée qu'ils surplombent, la tour de guet installée et les jeunes colons vaquant à l'installation du camp tels des fourmis. En effet, c'est vers cinq heures du matin, juste avant le lever du jour, que la colonne de camions arrive à destination. Aussitôt le chef des nouveaux colons, Ruben, distribue les tâches.
Les colons sont pour l'instant 25, vingt hommes et cinq femmes. 12 femmes et 3 bébés les rejoindront plus tard. Les membres de ce groupe se connaissent depuis des années, années au cours desquelles ils ont appris à vivre ensemble. Ils sont Polonais, Russes, Anglais…etc.
le soir venu, les colons prennent un peu de repos avant la veillée nocturne et les conversations vont bon train quand est évoquée l'éventualité d'une attaque par les Arabes. Pour Siméon, la seule réponse à la violence et la violence : oeil pour oeil, dent pour dent ! La morale n'a pas à intervenir ici, et pour des raisons purement logiques, ils doivent opposer la terreur à la terreur.
La soirée se termine au son de la cornemuse et la danse de la « horra », une « horra » débridée, sauvage et joyeuse. C'est vers minuit qu'éclate le fracas des premiers coups de feu tirés contre la palissade du camp. Branle-bas de combat, chacun à son poste au son des cris et ordres hurlés dans « cette langue ancienne qui n'avait jamais été aussi mélodieuse qu'ainsi criée à travers le vent et la pluie dans la nuit, une langue sauvage et tragique mal faite pour des propos frivoles. » Une phrase du livre restée célèbre et que j'ai souvent entendue.
Il est cinq heures trente du matin, le soleil se lève, on déplore la mort du jeune Nephtali touché par une balle. Une journée s'est achevée. La première.
Ainsi se résume cette première partie de 100 pages sur les 435 du livre, une présentation qui permet de comprendre la suite de ce roman passionnant, fascinant et émouvant, émouvant surtout lorsque l'on a connu la vie en kibboutz comme ce fut mon cas par deux fois en 1963 et 1967 durant les mois d'été au cours desquels j'ai pu également parcourir l'ensemble du pays du nord au sud, et notamment la Galilée dans la région où se passe l'action du livre, et également le Néguev.
Une année a passé et les tensions avec les Arabes voisins se sont calmées. Joseph, le savetier, tient un journal et nous relate la vie de la colonie en cette année 1938, comme la constitution de leur quatuor à cordes, la location du tracteur aux Arabes de Kfar Tabiyeh contre une somme modique, l'arrivée de nouveau colons pour arriver à 41 membres, le nombre de 200 étant prévu pour la fin de l'année, la construction en dur du pavillon des enfants et de l'étable, alors qu'eux-mêmes vivent encore dans des baraques en bois, les relations hommes femmes au sein de la communauté, les questions politiques animant follement les conversations quand il s'agit de considérer l'attitude des Anglais. Et puis les relations toujours incertaines et agitées avec le monde arabe en général, quand bien même les rapports avec le village de Kfar Tabiyeh se sont apaisés. de nombreux thèmes animent la suite de ce livre magnifique, comme l'histoire de la ville de Tel-Aviv, les racines du conflit israëlo-palestinien, la vie dramatique de Dina, l'épopée des Juifs de Boukhara en Asie Centrale, le rôle de l'Haganah et de ses branches spéciales clandestines, l'Irgoun et le groupe Stern, qui agissent en coulisse.
1939 : les colons de la Tour d'Ezra, sont à présent au nombre de 300. C'est une oasis hors d'atteinte des ouragans qui bouleverse le monde avec une furie sans cesse accrue. Leur hymne se veut être le Cantique des Cantiques.
Extrait :« Exilés en Égypte il y a des millénaires, puis à Babylone, puis sur tout le globe, entourés d'étrangers hostiles, il s'est développé chez le Juifs des traits particuliers…Ils formaient la cible naturelle de tous les mécontents parce qu'ils étaient si exaspérément si anormalement humains…Privés d'un foyer dans l'espace, il leur a fallu s'étendre dans d'autres dimensions…Un pays est l'ombre que projette une nation ; pendant deux mille ans, nous avons été une nation sans ombre. »
A travers ce livre, véritable témoignage, c'est toute l'histoire de la naissance de l'Etat d'Israël et d'un peuple qui retrouve enfin sa patrie perdue après une errance de deux mille ans que nous retrace Arthur Koestler (1905-1983). La communauté socialiste d'Ezra s'est peu à peu courageusement établie sur une colline aride et désertique de Galilée. Il a fallu lutter sans cesse pour conserver cette parcelle de terre " symbole ", contre les intempéries, la maladie, la solitude, enfin, le découragement. Il a fallu survivre pour montrer aux autres nations qu'un Etat nouveau peut resurgir de ce désert. Koestler n'était pas seulement un incomparable analyste du monde concentrationnaire. Romancier vigoureux de la taille d'un Malraux, témoin lucide de son temps, essayiste, ce fils de famille juive hongroise était aussi un prophète.En effet, l'État d'Israël est né après la guerre, en 1948.
J'ai lu ce livre pour la première fois en 1963 de retour d'un séjour en Israël, puis en 1973 et je relis en ces jours d'octobre 2023 marqués par la tragédie des kibboutzim proches de la bande de Gaza.
Il est dommage que ce beau livre d'Arthur Koestler qui a vécu dans une colonie agricole (kibboutz) dans les années 20, soit aujourd'hui complètement éclipsé par le reste de son oeuvre et notamment « le zéro et l'infini ». Un beau roman humaniste dont on retiendra l'appel à la paix et la coexistence pacifique entre les hommes.



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