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Critique de Renod


Renod
02 décembre 2014
« le dernier amour du président » est un roman d'Andreï Kourkov écrit en 2004 et édité en France en mars 2005. J'ai tenté sans succès de trouver la date précise de publication du livre en Ukraine. Je suppose que le livre a été écrit et publié avant le début de la campagne présidentielle et le déclenchement de la « révolution orange ». le roman est prémonitoire puisque les évènements politiques décrits sont proches de ceux qui se sont effectivement déroulés quelques mois plus tard. Pour réaliser cette prouesse, Kourkov ne s'est pas servi d'une boule de cristal mais de sa fine connaissance du monde politique ukrainien.
Pour situer le contexte politique de l'Ukraine en cette année 2004, je vais citer un extrait d'un article trouvé dans le magazine Courrier international, intitulé ‘'22 novembre - Une révolution annoncée'' : « Treize ans après l'indépendance, les illusions se sont dissipées. L'Ukraine est pauvre, l'économie peine à décoller, et les gouvernants sont corrompus, voire mafieux. Chaque hiver, la Russie brandit la menace d'une interruption des livraisons de gaz, sous prétexte que Kiev tarde à régler sa facture. Les scandales financiers et politiques s'enchaînent. En (…)Ukraine, des journalistes disparaissent. L'un d'entre eux, Guéorgui Gongadze, fondateur du quotidien en ligne Oukraïnska Pravda, très critique du pouvoir, est retrouvé décapité. Léonide Koutchma, le président sortant, est l'incarnation de ce système vicié (…). ».
La maison d'édition Liana Lévi a ajouté un bandeau sur la dernière réédition du livre précisant qu'il avait été interdit deux fois en Russie. Là non plus, je n'ai pas pu découvrir si l'interdiction visait spécifiquement ce roman ou si elle concernait l'ensemble de la production de cet auteur, ce dernier ayant précisé récemment dans une interview que ses livres n'étaient plus diffusés en Russie depuis la « révolution orange ».

Le roman est constitué de courts chapitres, plus de deux cents, portant en titre la date et le lieu de l'action. Il se déroule sur une période de 40 ans, de 1975 à 2016. Trois périodes de la vie du héros, Bounine, s'enchevêtrent :
- la première se déroule pendant les dernières années l'Union Soviétique et la période de transition vers l'économie de marché qui a suivi. Bounine est un jeune homme sans ambition ni occupation précises, qui vit chez sa mère, avec Dima, son frère schizophrène ; il multiplie les béguin légers et les amitiés solides. Une succession de hasards le conduiront à travailler dans une association d'entrepreneurs.
- La seconde se déroule en 2004 (elle est donc contemporaine de la période d'écriture) : Bounine est intégré dans l'entourage du président après un passage au Ministère de l'Economie. Il s'est enrichi et peut envoyer son frère en soins à l'étranger, dans une luxueuse clinique. Dima se rend donc en Suisse avec son amoureuse , qui n'est autre que la soeur de Svetlana, la compagne de Bounine. Elles tomberont enceintes en même temps. Mais le bonheur de ces deux couples va connaître une fin tragique.
- La troisième période se déroule en 2015. Bounine est président. Il vient de subir une transplantation du coeur. Il tente d'apprivoiser Maïa, épouse de l'oligarque défunt dont le coeur a servi pour la greffe. Les évènements vont s'accélérer : un opposant va chercher par tous les moyens possibles à destituer Bounine et à lui prendre sa place.

J'ai découvert Kourkov il y a une dizaine d'années en lisant le Pingouin : l'histoire d'un rédacteur de nécrologies flanqué d'un pingouin dépressif dans la Kiev de 1996. Ce récit est également une satire la l'Ukraine contemporaine qui comprend des éléments singuliers propres à ce genre littéraire.
Les médecins greffent un coeur à Bounine. S'ensuivent des complications qui ne sont pas que d'ordre médical… La veuve du donneur a exigé de vivre à proximité du coeur de son défunt mari ; elle passera ses nuits dans la chambre voisine de celle du président. Mais ce coeur a une particularité qui va être découverte tardivement : il comprend un élément électronique qui permet à son opposant de tout savoir de ses déplacements et d'interrompre son fonctionnement, s'il le souhaite. Avec une dernière ironie : le chirurgien qui s'est chargé de l'opération a donné à ses ennemis non pas la télécommande du coeur, mais les clefs automatiques de sa berline allemande…

Kourkov va traiter les tensions diplomatiques entre la Russie et l'Ukraine avec humour. Pour évacuer son stress, le président bêche un champ en pleine nuit dans l'ouest du pays, un de ses proches y introduisant une pomme de terre transgénique volée dans un laboratoire américain. La paysanne propriétaire du champ crie au miracle : elle a vu de la lumière la nuit et a récolté quelque temps après d'énormes pommes de terre. Des experts du Vatican sont dépêchés pour authentifier ce miracle. Les orthodoxes russes répliquent : ils canonisent Lénine. Des icônes du nouveau saint versent des larmes, c'est un nouveau miracle.
Autre exemple : deux locomotives partent de Kiev pour rejoindre Moscou, pour commémorer le début de la dynastie des Romanov ; chaque locomotive porte les couleurs d'un pays ; décider lequel de ces trains sera en tête ravive les susceptibilités nationalistes de chaque camp…

Ce qui étonne avec Bounine, c'est qu'à aucun moment il n'exprime une quelconque ambition. Il est devenu président par hasard, en se laissant porter par les évènements, au gré des rencontres. Au début du roman, sa mère le qualifie de parasite. Il n'a pas de travail, n'étudie pas et il vient de se marier à une jeune fille qu'il a engrossée. Poussé par sa mère, il va débuter des études en agroalimentaire pendant lesquelles il va travailler au service restauration d'un komsomol. Il y fera une première rencontre décisive pour son avenir. Car Bounine a deux qualités qui vont lui permettre d'avoir une belle ascension sociale : il est digne de confiance et il ne pose jamais de question. Certaines étapes de son parcours ne sont pas précisées. Quand il débute en politique, il semble qu'il soit choisi. Des conseillers qui savent tout de lui organisent sa vie privée, en biffant tout ce qui paraît gênant pour sa carrière, et accélèrent sa progression professionnelle.
Parvenu à la fonction suprême, il reste un homme simple qui apprécie la vue de sa fenêtre, les tableaux de Chichkine et les bains glacés.
Bounine est un individu sympathique, apprécié de tous. Condamné à balayer un commissariat pendant dix jours, dans ses jeunes années, il se lie d'amitié avec les agents. Il devient également très proche d'hommes qui ont trois fois son âge et qui vivent en marge de la société soviétique, sur une île du fleuve Dniepr.
Sa vie amoureuse est plus compliquée. Ses conquêtes se succèdent mais il semble ne jamais s'attacher à une femme. Toutes ses relations échouent. Ses enfants sont tous trois morts-nés, vraisemblablement atteints du même de la même malformation cardiaque que lui. C'est donc un président sans famille, ni conjoint, ni parent, ni enfant qui fait face à la complexité de la gestion d'une démocratie en devenir.

J'ai apprécié ce roman. L'actualité de l'Ukraine est traitée avec ironie et Bounine, le personnage principal, est attachant. J'ai toutefois un regret : je trouve la fin du roman avortée, comme si l'auteur, après avoir patiemment cousu une trame à la fois complexe et drôle, se pressait de mettre un terme à son récit, laissant beaucoup de sujets en suspens. le roman permet de comprendre les soulèvements ukrainiens d'Euromaïdan et de la révolution orange. Au cours du récit, Bounine fait cet aveu en parlant de son pays « qui ressemble à un balancier, penchant tantôt à l'Ouest, tantôt à l'Est et dont je ne peux rien faire ».
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