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Critique de Erik35


Erik35
21 septembre 2017
SINGES DE PEU DE FOI, PASSEZ VOTRE CHEMIN !

Singe... Singer... Singerie... Payer en monnaie de singe... Ce n'est pas à un singe qu'on apprend (etc)... Malin comme un singe... Faire le singe... Les mots et expressions dérivés ne manquent pas dans notre langue - parions qu'il en est de même dans moult autres - dès lors qu'il s'agit de moquer les hommes via les travers supposés de nos plus proches cousins, comme le veut la formule consacrée. Aussi est-ce bel et bien des humains, trop humains, dont nous parle cette fable anthropomorphe car, en dehors de quelques expédients cosmétiques, il est bien peu question des vrais singes dans le crépuscule des idiots. Et c'est tant mieux, car nos parents à fourrure méritent certainement bien moins que nous que l'on s'en moquât !

Nous nous retrouvons donc à l'abri dans des montagnes enneigées d'un pays d'Asie (on pensera très vite à ces singes japonais ayant développé un goût salvateur, en plein hiver, pour les sources d'eau chaude locales), deux jeunes macaques jouent à prier. Voyant cela, le vieux Fukito, sage parmi les singes leur donne à tâter du bâton. Les deux singeteaux ne comprenant pas le mal qu'il y avait à lancer des "Ohmmmm" vers le ciel tout en courbant l'échine, l'ancêtre leur raconte l'histoire du singe Nitchii :

A une époque lointaine que le vieillard connut enfant, le clan était sous l'emprise de l'impitoyable et puissant Taro, un singe albinos au caractère intransigeant, possessif, hargneux et particulièrement musculeux, décidant du haut de sa puissance qui pouvait accéder aux sources d'eau chaudes ou pas. Il s'était bien évidemment arrogé les bonnes grâces de la plus belle femelle, Hisayo. Malgré un fort agacement des dominés à l'endroit de leur chef, craint et honni, la plupart courbait l'échine. Et lorsqu'il arrivait que l'un d'entre eux se rebelle, l'ignoble Taro se jetait sur lui et le battait à mort.

Parmi ces singes dominés se trouvait Nitchii, lequel était fou amoureux d'Hisayo. Un jour qu'il s'approcha de la belle (qui était son amie d'enfance) il fut surpris par Taro qui décida de le bannir du clan. C'est ce même jour qu'une capsule spatiale en fin de mission choisit de tomber du ciel. Mais cet étrange objet des humains n'était pas qu'une coquille vide : un singe y avait été embarqué ; un singe répondant au nom étrange de Rhésus («Et Dieu dit : buvez-en tous car ceci est mon sang»...… Matthieu 26:28) Malin, bien plus malin que les autres, ce nouveau venu s'imposa rapidement comme le prophète de Diou, leur faisant rapidement prendre des vessies directement intéressées pour des lanternes... divines.
En effet, Rhésus, qui n'est pas né de la dernière pluie, s'aperçoit rapidement qu'il est tombé au beau milieu d'une tribu de macaques niais et crédules, déjà plus ou moins asservi par leur chef (ce qui rend les choses forcément plus simple). Il leur fait donc part de sa mission prophétique et leur inculque le culte de ce Diou dont ils n'avaient bien entendu jamais entendu parler auparavant. Peu à peu, par le biais de salamalecs incompréhensibles du commun des mortels et de bizarres gesticulations très inspirées, il parvient à s'imposer auprès de ces esprits faibles et une foi toute nouvelle gagne leur coeur au point de surpasser l'ancien pouvoir viril de Taro (qui en devient d'abord l'une des mires). C'est à ce moment-là que Niitchii, n'écoutant que son courage, se décide à revenir de son bannissement. Ayant sauvé le prophète, il sera bientôt consacré en tant que premier serviteur de Diou. A sa suite apparaîtra une cohorte de prêtre, chacun d'entre eux se persuadant qu'il est plus proche de la Vérité de Diou que son prochain...

Bref, la machine infernale de la Crédulité religieuse, des luttes de pouvoir entre les disciples, les entames de théologies, les églises, l'abêtissement des fidèles, etc a commencé de faire son oeuvre...

Bien que la réflexion de Jean-Paul Krassinsky, l'auteur de cette bande dessinée particulièrement engagée sur le terrain sensible de la foi et de la religion ne date pas d'hier - dans une interview, il reconnaît avoir commencé à réfléchir comment traiter ces thèmes dès 1995 et la vague d'attentats qui secouèrent alors Paris -, il faut reconnaître plus qu'un sens de l'à-propos à l'auteur ainsi qu'à l'éditeur, Casterman, pour publier un tel roman graphique à l'été 2016, après les attentats terribles que nous avons connus tant en France que chez nombre de nos voisins et amis européens. Sans oublier l'action mortifère des sectes islamistes djihadistes que sont Daech, al Qaïda et autres Boko-haram.

Mais il serait tout aussi vain de ne penser qu'à cette actualité brûlante s'agissant de cet album : c'est l'ensemble du phénomène religieux, de l'affirmation de l'existence d'un Dieu (quel qu'il soit), de la prédominance de quelques "élus" (prophètes, religieux, etc) sur l'ensemble des fidèles que Krassinsky met en cause, examine, décortique. L'auteur s'en explique d'ailleurs fort bien : «L'existence de Dieu, ça reste une hypothèse et à partir d'une hypothèse, on est prêt à changer beaucoup de choses dans nos vies. Je trouve donc que la place de la religion est un peu trop prépondérante et je trouve cela un peu agaçant. C'est pourquoi, j'ai eu envie de parler de ce sujet mais de manière drôle car on peut aussi en rire.»

Le résultat en est donc cette fable philosophique contemporaine prenant au pied de la lettre le verbe singer (mais cette fois, juste retour des choses, ce sont les singes qui nous imitent, dans ce que nous avons de plus veule, triste, pitoyable, désagréable), dont l'intitulé est bien entendu une référence directe autant qu'un détournement du titre de l'essai de Frédéric Nietzsche "Le Crépuscule des idoles".

Ce qui attire indubitablement lorsqu'on feuillette une première fois le livre sans trop s'arrêter au texte, ce sont ces planches réalisées pour bonne part à l'aquarelle et qui sont véritablement magnifiques - loin de ces aquarelles fadasses et trop oniriques pour retenir longtemps le regard - au beau milieu desquelles sont plantés, volontairement et brutalement d'un coup de crayon souvent anguleux et nerveux nos petits singes pas toujours très malins ni très beaux.

Pour autant, ces trois cents pages apparaissent rapidement superflues, surnuméraires. Elles encombrent le propos plutôt qu'elles ne le servent. Ce dessin rapide, accrocheur, on aurait tant apprécié le retrouver accompagné d'un rythme narratif plus soutenu, plus cinglant, se perdant moins dans les détails, dans le trop : trop de prêtres, trop de retour en arrière, trop de bêtise, trop de blabla, trop de redondances. C'est fort dommage car ce livre engageait une sincère et intéressante réflexion sur l'origine de la foi, sur "l'invention" de dieu, sur les manipulation de masse par le pouvoir d'intrigue, de communication et de persuasion de quelques uns, sur les rapports entre le pouvoir "temporel" et le spirituel, sur la crédulité et l'angélisme du troupeau des fidèles, sur la stupidité, sur la violence morale, etc.

Peut-être trop de thèmes abordés, aussi, pour un seul livre qui n'est pas, à proprement parler, un essai. Il s'en faut de peu que la démonstration ne tourne ou au coup de maître ou à l'article imbuvable. Resterons en mémoire quelques bons moments de rire - d'un rire sincère et intelligent - ainsi que ces planches franchement sublimes disséminées un peu partout dans le corps de l'album. Malgré des excès de zèle, un auteur à suivre, c'est indéniable.
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