Cela débute par une scène qui serait presque cocasse si elle n'était pas surtout tristement sordide...
Dans la fosse à Jell-O d'un rade à poivrots, se livre un combat de catch opposant une jeune furie expérimentée à Jolene, moins jeune, moins vive, qui se demande ce qu'elle fait là, mais c'est tout ce qu'elle a trouvé pour nourrir quelques jours de plus -de beurre de cacahuète et de Pepsi- son bébé de deux ans. Son amateurisme fait fureur : elle s'excuse à tout bout de champ, et se fait laminer... sous les huées délirantes d'hommes imbibés venus voir des nibards et des chattes. Parmi eux Artie, pauvre type fort en gueule dès lors qu'il ne se trouve pas face à plus costaud (ce qui lui arrive rarement), qui vivote de vols à la tire et de menus cambriolages. Il détecte aussitôt la vulnérabilité de Jolene, et l'occasion de grappiller quelques sous contre un peu de gentillesse...
Ces deux solitudes vont se rapprocher, entamant une cohabitation dans le petit deux-pièces sale et inconfortable de Jolene. Son fils,
Dandy, un gamin passif à la vision défaillante et ne tenant toujours pas seul sur ses jambes, quitte alors le lit maternel pour une caisse en carton déposée dans la cuisine. Nous partageons leur quotidien de débrouille, en quête permanente de combines pour tenir jusqu'au lendemain, et pouvoir s'acheter le whisky dont Artie a du mal à se passer. Il s'installe entre ces deux laissés-pour-compte une sorte de tendresse fragile, une relation qui tient à un fil, plombée par un contexte qui d'un moment à l'autre peut basculer dans la violence.
Lui est partagé entre une affection qu'il refuse de s'avouer, dont il se protège par un réflexe de survie qui l'amène à prioriser l'impératif financier, et qui lui inspire des mensonges enjôleurs pour dissimuler son égoïsme et sa cupidité. Elle, comme engluée dans sa situation, tantôt méfiante et tantôt crédule, apprécie la présence d'Artie, qui la fait rire, et lui donne parfois la fugace illusion de bâtir un foyer. Elle ne réfléchit pas au-delà du lendemain, se désespère de n'avoir pas la clés pour s'en sortir dans ce monde où elle n'a fait que cumuler, depuis l'enfance, les humiliations, la violence et les défaites. Ses rêves -"avoir une TV et des vrais ustensiles de cuisine, comme les vrais gens"- sont modestes, pitoyables tant ils sont dérisoires, et pourtant inatteignables.
C'est abrupt et d'une tristesse à pleurer, on se sent pris d'une frustration impuissante face à la naïveté de ces laissés-pour-compte quant aux soi-disant opportunités qui se présentent, à l'incapacité de Jolene à se secouer, à s'occuper correctement de son fils, laissé seul pendant des heures dans sa caisse en carton pendant qu'elle erre dans les rues à la recherche de quelques dollars..
Car il n'y a aucune poésie dans la misère dépeinte par
Richard Krawiec, et les touches d'humour qui parsèment son récit ne font qu'exhausser sa dimension pathétique. Sa jeune mère célibataire est comme victime d'une hébétude qu'a ancrée en elle une violence familiale et sociale qui la condamne à rester du mauvais côté de la barrière, et dont son fils héritera, à moins d'un miracle, mais ils sont inexistants dans l'univers de déclassés que dépeint l'auteur. Il s'efforce pourtant de traquer, parmi la cruelle et impitoyable petitesse qui y règne, les quelques lueurs de tendresse qui éclairent parfois d'une terne lumière leur quotidien désespérément sombre et se font le suffocant rappel de leur humanité, et de l'inacceptable destin que les limites du rêve américain leur a dévolu...
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