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Critique de kielosa


J'ignore si Hinde Esther Singer Kreitman a appris à son petit frère, 11 ans plus jeune qu'elle, à lire et à écrire, mais si c'est le cas, elle s'est merveilleusement bien acquitté de sa mission en faisant du môme, Isaac Bashevis Singer, un Prix Nobel Littérature !
Avec son autre frère, également un grand écrivain, Israel Joshua Singer, c'eût été difficile, car elle n'avait que 2 ans lorsqu'il s'est pointé !
Son 3e frère, Moyshe, était apparemment trop dévot et pieux pour perdre son temps à écrire des bouquins, il devint rabbin dans un bled polonais, avant de fuir en Russie et être transféré, comme juif, au Kazakhstan, par les bons soins de Staline.

D'Esther Kreitman, née à Bilgoraj, dans le sud-est de Pologne, dans une famille de rabbis hassidiques en 1891, j'ai lu et chroniqué, l'année dernière son oeuvre "La danse des démons", qui m'avait plu. Si je me suis laissé tenter par son roman "Le Diamentaire" de 1944 c'est justement parce que ses histoires d'un monde à part me fascinent, presque autant que celles de ses frères, et deuxio parce que cette histoire est située dans la capitale du diamant, Anvers, où j'ai fait une partie de mes études. Un monde particulier et clos avec ses propres us et coutumes.

Cette oeuvre, sans être à proprement parler autobiographique, est tout de même largement inspirée par l'expérience de l'auteure, qui y a vécu avec son mari Abraham Kreytman, qu'elle a épousé en 1912, avant de fuir la peste brune, direction Angleterre. L'ouvrage est donc conçu en 2 parties géographiques distinctes : d'abord le quartier des diamentaires près de la gare d'Anvers et la célèbre Pelikaanstraat (rue du pélican), et ensuite (à partir de 1940) l'East End malfamé de Londres.

À mon avis, l'intérêt de l'ouvrage est double : la description de personnages, pour nos normes, fort particulier, et la vie des courtiers et ciseleurs de diamants et les nombreux qui gravitent autour, attirés comme des mouches par ces petites pierres précieuses.

Le protagoniste principal est le diamentaire Guedalia Berman, un Juif de l'est, avec son épouse Rachel ou Rosa (cela dépend qui d'autre est présent), leur fille Jeannette et leurs fils David et Jacques. le personnage de Rachel/Rosa permet, bien entendu, à Esther Kreitman de nous faire part de certains de ses souvenirs personnels.

Selon l'intéressante préface de Paule-Henriette Levy, directrice de la Radio de la Communauté Juive (RCJ) et du département de l'action culturelle du Fonds Social Juif Unifié (FSJU), le Berman en question est inspiré d'un certain Yakobovitch, "abatteur rituel en Pologne qui quitta le shtetl pour faire fortune dans les diamants à Anvers". Un homme "aussi dur que les pierres précieuses dont il fait commerce".
Si notre Esther devra partager sa vie avec un loustic pareil, on peut s'imaginer que son chemin ne sera pas pavé de roses !

En effet, la soeur aînée des Zynger (orthographe originale de leur nom de famille) a en réalité été forcée d'épouser son Abraham contre son gré. La jeune et douée Esther de 21 ans avait bien d'autres aspirations et ambitions dans la vie. Je ne vous étonnerai pas si j'avance que son mariage n'a pas été exactement un franc succès. En plus, cet "arrangement" familial était en flagrante contradiction avec ses conceptions du statut de la femme dans la société des Juifs ashkénazes. Si elle a fini par accepter ces noces, c'était surtout pour pouvoir étudier et écrire plutôt que de servir comme bonniche dans la maison du rabbi orthodoxe. Par ailleurs, entre elle et sa mère, Basheve (d'où le nom du Nobel est dérivé) Zylberman, il n'y avait pas d'atomes crochus, loin de là !

Plutôt de résumer ce roman, dont le titre original en Yiddish est "Brilyantn", je préfère, au contraire, encore dire quelques mots sur cette autodidacte talentueuse qu'à été Esther Kreitman. Car, sans formation, elle a réussi à traduire des oeuvres classiques anglaises en Yiddish avant d'entamer sa propre production littéraire.

Ses relations avec son illustre frère n'ont pas été très simples. Ainsi, Isaac Bashevis Singer ne lui a pas envoyé de sous lorsqu'elle était dans la dèche à Londres et il lui a aussi refusé de l'aider à le joindre à New York, où elle voulait émigrer. Par contre, il a dit de sa soeur : "Je ne connais pas une seule femme dans la littérature Yiddish qui écrivit mieux qu'elle". Une des héroïnes de son roman "Satan à Goray " a clairement été inspirée par sa soeur, tout comme le personnage-clé dans sa nouvelle "Yentl". Je crois que la précitée Paule-Henriette Levy n'a pas tort, si elle conclut à une certaine jalousie de la part du grand maître à une certaine époque pour son aînée qui n'était, paraît-il, pas toujours très commode pour son entourage.

L'auteure a eu de son Abraham un fils, Morris Kreitman, né à Anvers juste avant son départ outre-Manche et qui s'est construit une réputation comme journaliste sous le pseudo de Maurice Carr. C'est ce fils et enfant unique qui lui a traduit son roman "La danse des démons" en Anglais.

Je dois louer le traducteur, Gilles Rozier, pour son initiative de traduire cette oeuvre 70 ans après la parution de l'original et pour la qualité exemplaire de son travail. Écrit dans un Français exquis avec un glossaire utile en fin de volume. Dommage pour une minuscule faute en Néerlandais, où à la page 64, il manque un k dans le mot "melkboer" ou laitier. Petite erreur qui sera sûrement corrigée par le bon éditeur Calmann-Lévy.

Maintenant, j'ai décidé de lire son recueil de nouvelles "Blitz et autres histoires", paru en 1949, 5 ans avant sa mort à Londres et également traduit par Gilles Rozier.

Une petite anecdote, triste car plein d'amertume. En juillet 1954, Morris Kreitman écrivit à son oncle : "Cher Isaac, J'ai reçu ta lettre. Comme tu ne souhaites pas avoir de détail sur la vie tragique ni sur la mort de ma mère, je ne t'en donnerai pas." (page 9)
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