Elle l’avait reconnu dès leur première rencontre comme une âme sœur : un individu qui avait réussi à se réinventer.
Je ne veux pas vous paraître insensible, mais il est très courant que les gentilshommes éconduisent leurs maîtresses du jour au lendemain. Ils ont rarement besoin de recourir à la violence.
— Du désir, des soupirs, des tourments d’amants séparés par le sort ou des circonstances échappant à leur contrôle. Des élans de passion transcendante… Le genre de choses habituelles.
— Des élans de passion transcendante…
Les gens qui perdent des êtres aimés disent souvent n’avoir jamais soupçonné leurs intentions suicidaires...
Côtoyer des hommes entraînait un certain danger. Cependant, se découvrir une attirance pour l’un de ses clients n’était pas le genre de risques qu’elle avait eu en tête lorsqu’elle s’était fixé cette règle. Elle avait surtout craint que les hommes n’entachent les réputations immaculées de ses secrétaires.
Ce qui la choqua davantage encore fut d’avoir l’impression qu’il n’était pas particulièrement surpris qu’elle le quitte. Il semblait plutôt stoïquement résigné, comme s’il avait anticipé sa défection.
Sa façon de s’habiller renforçait cette impression de mystère et de glace. Depuis qu’elle le connaissait, Ursula l’avait toujours vu vêtu de noir des pieds à la tête. Chemise de batiste noire, cravate noire, gilet en satin noir, pantalon noir et veste noire. Même les montures de ses lunettes étaient faites d’un métal noir mat, au lieu d’être dorées ou argentées comme c’était généralement le cas.
Matty était âgée d’une trentaine d’années. Vieille fille, elle n’avait ni famille, ni amis. Comme les autres femmes qui venaient travailler à l’agence de secrétariat Kern, elle avait renoncé à tout espoir de se marier et fonder un foyer. À l’instar d’Anne et des autres, elle avait saisi la promesse offerte par Ursula : une carrière respectable de secrétaire professionnelle, domaine qui s’ouvrait enfin à la gent féminine.