Seul un être pondéré peut rendre la justice.
Un matin, en se levant, elle avait trouvé le corps raide de son mari, la peau couverte d'étranges taches, les yeux ouverts : son Charles, autrefois si vigoureux, était mort d'une embolie.
Carleone haussa les épaules. Il tenait la politique en piètre estime : il lui semblait que l'exercice du pouvoir prenait toujours un tour vénal, autoritaire, ou tout au moins médiocre. Il en découlait un manque de respect pour l'ordre, qui ne peut être le fait que d'esprits libres et ouverts. Les bienfaits de la civilisation reposaient sur le calme et la douceur : des actes guidés par le ressentiment, l'envie ou la rancune ne pouvaient que saper ces fondations.
Dites-moi, m'aimez-vous, Amanda ?
Carleone scruta les visages qui l'entouraient. A sa grande inquiétude, il y lut le même mélange de rage et d'impatience. Bien des années plus tôt, lui aussi avait été dévoré par une colère si intense qu'il en avait été complètement aveuglé, oubliant qu'au-delà existait un monde naturel immuable et serein. Il avait compris que la colère altère le jugement et étouffe la pitié.
Vous comprenez que je me suis prise d'affection pour vous, n'est-ce-pas ? Vous êtes toute seule ici c'est. Nous serons amies.
Il avait compris que la colère altère le jugement et étouffe la pitié.
« Seul un être pondéré peut rendre la justice. Souvenez-vous des mots de Dante :la nature divine voue chacun à un enfer plus adéquat que celui auquel nos efforts maladroits pourraient le conduire. » Au cours d’échanges ultérieurs, Eduardo persévère dans l’emploi d’un argumentaire identique : « Permettez-moi de vous rappeler que l’Italie a renoncé au vol et au meurtre. (…) Réfléchissez à ce que vous vous apprêtez à faire. Voulez-vous vraiment revenir aux jours du fascisme, au sang et à la haine ? »
Plus tôt sur la route, Amanda avait déjà aperçu la petite citadelle qui ornait le sommet tel un joyau scintillant au soleil. Elle lança un regard pensif à sa fille assise à côté d'elle, silencieuse, absorbée par le paysage qui défilait: fermes, maisons de stuc rose, meules en forme de ruches dans les champs. Une virée dans les collines pouvait s'avérer bénéfique à cette enfant restée trop longtemps confinée dans la ville. Elles n'avaient aucun engagement, personne ne les attendait, ni ne savait où elles se trouvaient: l'occasion rêvée pour changer d'air. Lorsque cinq cents mètres plus loin elle aperçut un panneau légèrement penché indiquant une bifurcation vers les vignobles en terrasses des Apennins, Amanda appuya timidement sur la pédale de frein. ROCCA AL SOLE, pouvait-on lire: Citadelle au Soleil. Ce nom aux sonorités médiévales correspondait parfaitement à la forteresse rougeoyante nichée là-haut. En outre, il éveillait en elle un souvenir insaisissable. Quelqu'un lui avait-il parlé de ce lieu?
Elle avait l'impression de comprendre les Italiens mieux que la plupart des Américains. Elle avait été charmée par les paysages bien ordonnés, l'omniprésence de l'art et du passé dans les rues des villes, la chaleur enthousiaste de leurs habitants.