Policiers et yakuzas occupent des positions diamétralement opposées, mais partagent les mêmes valeurs de fierté, de devoir, d'héroïsme. Les uns comme les autres font passer le public et le collectif avant le privé et le personnel et affichent une dévotion total à leur fonction.
La punition n'est jamais propice à un retour sur soi-même. Elle ne sert qu'à effacer la faute commise, songea-t-il alors.
Cependant, l'être humain est profondément lié aux autres. Ceux qui vivent en songeant que les autres peuvent bien penser ce qu'ils veulent finissent tôt ou tard par détonner au sein de leur communauté : voilà quelle leçon avait apprise Kumagai.
- Pour les yakusas, le nawabari, c'est l'équivalent du territoire pour un état. Le gouvernement doit faire face à l'invasion d'un pays étranger par la force armée, et il est aussi le garant de l'ordre public. Certes, il peut survivre sans territoire, mais dans ce cas, il doit se mettre au nomadisme et sera expulsé de chaque état souverain. Vous n'avez qu'à considérer que c'est la même chose pour nous, les yakusas. Les chiens et d'autres animaux sauvages possèdent leur propre territoire qu'ils défendent quitte à y laisse leur peau.
Les chefs d'entreprises et les boss de clans yakusas ont beau officier aux antipodes les uns des autres, ils ont un point commun : ils doivent manager des organisations. Comment larguer les voiles quand le vent est favorable, comment manœuvrer quand il est contraire ou qu'on navigue en pleine tempête ? Même ceux qui siègent au sommet de la pyramide de leur entreprise ont démarré au bas de l'échelle : ils ont dû se hisser là où ils sont à la force des bras. C'est pareil chez les yakusas, où le fait de gravir les échelons est qualifié de "distinction". Ainsi yakusas et hommes d'affaires ne diffèrent que du point de vue sociétal car, du sommet à la base, les deux pyramides - celle du monde légal et celle du monde illégal - se correspondent en tous points.
Mais souvent, je demande à mes cadets : si vous avez le temps de dire du mal des autres, pourquoi ne le passeriez-vous pas plutôt à améliorer votre conduite ? Car ce n'est pas en critiquant autrui qu'on s'élève soi-même. Sans même parler de s'élever, les gens qui critiquent tout le monde ne récoltent que le mépris. Un leader ou un chef pareil, qui aurait envie de le suivre ? Personne ne viendra à vous si en tant que chef vous passez votre temps à maugréer.
"Un chef sans idéal ne jouit d'aucun prestige. Un chef qui se laisse déborder par la réalité, d'aucune confiance." (Masatoshi Kumagai).
M. Kumagai n’a pas toujours voulu devenir yakuza. Il est tombé dedans en suivant les méandres du destin.
– Réprimander sans éduquer, cela n’a aucun sens. C’est ce que je dis souvent aux chefs des clans affiliés au mien. Quand l’oyabun hurle sur ses hommes, ces derniers se mettent au garde-à-vous et s’excusent aussi sec. Croyez-vous qu’ils sont d’accord avec ce que vous leur dites ? Qu’ils vont réfléchir à leur conduite ? Bien sûr que non. Ils s’excusent parce qu’on les a incendiés, point barre. Ils reproduiront les mêmes erreurs, et à ce moment-là le parrain s’énervera à nouveau et leur serinera qu’ils sont des bons à rien, mais c’est une mauvaise façon de réprimander. Les oyabuns qui n’expliquent pas à leurs hommes pourquoi ils les réprimandent ni comment éviter de répéter leurs erreurs, sont sur la mauvaise voie. Incendier quelqu’un, ce n’est pas l’instruire
N. resta coi, les yeux exorbités. La moitié de la somme, soit neuf millions, eût été une juste récompense, et pourtant, ce jeune yakuza ne s’octroyait que deux millions. Ou plutôt, il partagea comme promis la somme en deux, fit comme s’il en prenait la moitié mais repoussa ses sept millions vers lui. Ce n’était pas fini : il tendit encore la moitié de sa part au gérant, en guise de rémunération. Celui-ci refusa mordicus, mais Kumagai le fit céder avant de s’en aller.
- Si jeune et pourtant si digne, s’étonna N., admiratif.
Ce n’était pas que Kumagai roulait sur l’or. Au contraire, avec ses « petits frères » à charge, il était même carrément à sec. Il aurait fait n’importe quoi pour seulement cinquante ou cent mille yens. Cependant, accepter la pâtée sous prétexte qu’on crève la faim est digne d’un chien errant. L’orgueil est justement la preuve pour un yakuza, de son existence en tant que tel – voilà ce que Kumagai n’a jamais cessé de penser.