Les voisins d’en haut sont les plus détestés des voisins. Quoi de plus exaspérant que d’entendre quelqu’un marcher au-dessus de sa tête ? Impossible alors de ne pas se figer dans l’écoute du bruit. Ceux d’en haut sont responsables du malheur du monde.
Quand nous nous sentons menacés, c’est toujours par ceux d’en haut.
Le voisinage est un corps-à-corps, et c’est bien souvent ce qui gêne. Il n’élude pas le corps de l’autre, contrairement à ce qui se produit sur les réseaux sociaux ou dans les divers moyens de communication téléphonique accompagnés de possibilités de se voir. Par webcam, nous amis sont inodores et intouchables. Le corps est réduit au visage. Au contraire, on hume les
odeurs de la cuisine des voisins, on respire le même air qu’eux, on ne les voit pas seulement sur écran, on les entend.
Le voisinage est un lien par le lieu.
De tous les voisins, ceux d’en haut, d’en bas, d’à côté, c’est le voisin d’en face qui fascine le plus. Qu’est-ce que j’épie chez le voisin d’en face ? Est-ce la différence que je guette et surveille ? Qu’est-ce que je crains de celui qui me regarde à la dérobée ?
Au sein de toute proximité se crée comme un dépôt d’hostilité, toute intimité « contient un fond de sentiments négatifs et hostiles ». Ce qui est vrai de la conjugalité, de l’amitié, des relations familiales l’est aussi du voisinage.
On peut certes porter au crédit des éthiques du care de vouloir servir de correctif aux excès de l’individualisme libéral et à sa sourde violence. Mais elles font peu de cas de la pulsion de destruction inconsciente, et s’exposent au risque de paver l’enfer de bonnes intentions. Les dispositions conscientes que nous prenons pour bien nous conduire envers nos proches, voisins ou non, sont couramment annulées par notre agressivité inconsciente.