C'était si extraordinaire d'avoir des visiteurs, surtout des Américains.
- Ils ont une guerre civile, lança Nicolas.
- Ça veut dire qu'ils se battent pour être des civilisés ? demanda le petit Ernest.
- Il n'y a rien de plus reposant, maître, qu'un journal vieux d'une semaine. On sait que tout ce qu'on lit est passé depuis longtemps, et bien passé. Je crois que ce serait une excellente idée de ne distribuer les journaux qu'avec une bonne dizaine de jours de retard.
Ils trouvèrent Adeline et ses trois aînés debout près de la table : Augusta, aux longues boucles noires avec une épaisse frange sur un front haut, une enfant discrète qui avait à peine plus de dix ans ; Nicholas, ardent, aux yeux sombres, superbes, et aux cheveux ondés. Il semblait fier, presque audacieux mais d'une tenue parfaite. Ernest, tout blond avec ses yeux bleus, avait deux ans de moins. Adeline paraissait avoir préparé consciemment le tableau pittoresque qu'elle formait avec ses enfants autour d'elle.
Lorsque la guerre civile américaine éclata, la maison Jalna, dans l'Ontario, n'était pas achevée depuis de nombreuses années. Le propriétaire, le capitaine Whiteoak, avec sa famille, s'y était installé après la naissance de son second fils. Accompagné de sa femme, Adeline Court, une Irlandaise, il arrivait des Indes, et, par sentimentalité, avait donné à la maison le nom du dernier endroit où son régiment avait été en garnison. Le capitaine Whiteoak, las des contraintes militaires aspirait à la vraie liberté, aux vastes espaces du Nouveau Monde et Adeline avait toujours été tentée par l'aventure. Tous deux se sentaient maintenant animés d'une ardeur de pionniers. Mais ils avaient conservé les habitudes de confort dont ils jouissaient dans leur pays natal.
- Je crois que la vie est aussi intéressante que nous nous la faisons.
- Mr Madigan, repris Ernest, vous pouvez me dire combien de temps ça prend de naître ?
- Mes parents, expliqua Madigan, étaient mariés depuis dix ans quand je suis né. Je peux donc affirmer qu'il m'a fallu dix ans pour venir au monde. Mais, de nos jours, les choses vont plus vite.