Citations sur A Hambourg, peut-être... (5)
Le soir, à table, nous mangions face à face, le plus souvent sans rien dire. Et de quoi aurions-nous parlé ? Du manque de pain, du froid, des nouveaux rationnements ? Quel intérêt d'évoquer une fois de plus l'absence d'Agnès et la disparition de Pierre ? Étrange période où il fallait tout économiser, même les mots.
- Bernard, nous sommes des médecins, pas des militaires. Parions sur Hippocrate contre César, sur la science contre la haine.
C'était étrange. J'avais vu souvent la mort frapper à l'improviste, mais toujours les autres. Jamais je ne l'avais sentie rôder si près. Même lors de la débâcle, même sous les attaques des stukas, je n'avais pas eu peur. Pris par l'action, je n'avais pas pensé une seconde à ma mort. Maintenant, j'avais peur. Peur pour Bernard, pour Agnès et Véronique. Surtout peur de moi. Moi qui avais toujours espéré me tenir à distance de la violence des hommes, et qui me trouvais brutalement confronté au pire des dilemmes : faire pencher la balance d'un être du côté de la vie ou de la mort. Tous mes repères explosaient : hier, on m'accusait d'avoir sauvé un homme, aujourd'hui on me demandait d'en supprimer un.
-Et vous, que faisiez-vous avant la guerre ?
-J'étais institutrice.
-Ça ne me surprend pas; je vous avais imaginé enseignante.
-Pourquoi ?
-Votre côté un peu dirigiste.
-Que veux-tu, la liberté a un prix. Un jour, nous aussi nous aurons à choisir..., sinon, on choisira pour nous et il sera trop tard.