Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible.
Un jour, en 2001, à Shanghai, on me propose cinq mille yuans (cinq cents euros) pour jouer le client blanc, le client occidental d’un fournisseur de pièces d’une centrale thermique. L’idée du patron : qu’on visite ensemble un chantier de son futur client potentiel, sa cible, pour l’impressionner, attester que sa société est sérieuse, solvable, internationale. (À cette époque en Chine, les Blancs ont une valeur, l’Occident veut encore dire quelque chose. C’était juste avant l’effondrement des tours jumelles à Manhattan.) Mon rôle est simple (c’est un rôle de composition) : hocher la tête, avoir un regard mystérieux, profond, m’appeler Leibowitz, ânonner « good », quand il pointe le doigt sur quelque chose. Évidemment, j’accepte. Le fournisseur obtient le marché. Grâce à moi. (Un cantique pour Leibowitz.)
La centrale thermique finit par exploser deux ans plus tard. Non, je plaisante.
Je me dis que le Nouveau Monde, c’est l’obsession de la Chine. Partout, dans le pays : ce nom. Pour des hôtels, des quartiers, des magasins, des marques. La Chine s’affiche comme le Nouveau Monde. Le clame sous tous les toits. Relègue l’Amérique aux oubliettes.
À Hong Kong, il y a un braquage de papier toilette. Un stock volé par trois hommes armés. Curieusement, en période de fin du monde, les gens ne pensent qu’à leur cul.
Cela fait dix jours que je suis en Chine et je n'ai accès à rien, aucun site étranger. Ni Google , ni YouTube, ni Libé, ni Le Monde, ni même Les Inrocks ou Radio France. (...) Tout est bloqué. la Chine a construit une Grande Muraille numérique. Pour soustraire sa population au monde. Me couper du mien. (p. 17)
Admirer la gueule cassée de l'avenir.
Je vis en live l'agonie de la Chine des années 1980 et de ses ouvriers.
La forêt reste une ressource et activités majeures de Harbin. J'y ai été envoyé pour contrôler des coton-tiges en bois.
La forêt assassinée. Au nom de l'hygiène. Sacrifiée au nom de l'ouïe.
C'est ma première mission. Je n'ai pas le temps de songer à sa beauté, son charme désuet. J'ai conscience de son importance, je crois: à travers les coton-tiges, je veille au grain du conduit auditif de l'humanité. Je lutte contre sa surdité. (p. 29)
Pour contrôler les tire-bouchons, il faut ouvrir les bouteilles. En les ouvrant, nous nous retrouvons vite, avec Chen Huang, devant la nécessité de les vider, donc de les boire. (On aime le travail bien fait).
Impossible de finir une journée sans être ivre.
Impossible donc de contrôler tous les échantillons donnés en une journée. Notre conscience professionnelle se mord la queue. Douze tire-bouchons contrôlés en vingt-quatre heures, je crois que c'est notre record.
Les faibles cherchent des excuses, les forts des solutions.
Qu’est-ce qu’il s’est passé en trente ans en Chine ?
Je professe :
— Urbanisation, industrialisation, contamination des sols, de l’air, de l’eau, déforestation massive. Tout ça, dans quel but : la consommation à outrance.
Je complète :
— La Chine, victime consentante de la mondialisation, de l’Occident qui en a fait son atelier, a vu son écosystème bouleversé. Leurs habitats détruits, les animaux se sont rapprochés des villes, des hommes. Ont augmenté les possibilités d’infection homme-animal.