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Critique de AugustineBarthelemy


L'année n'est pas encore achevée, mais j'ai une certitude : Ombre parmi les ombres sera le roman le plus déchirant et le plus lumineux que j'aurai lu en 2019. D'une beauté et d'une poésie sans pareilles, le récit est l'ultime dialogue, imaginé par Ysabelle Lacamp, d'un poète fraternel, son testament poétique qu'il confie à Léo Radek, dernier des enfants poètes de Terezín.

Terezín, ou Theresienstadt, et le terrible mensonge nazi. D'abord une forteresse, puis une ville de garnison, et enfin, un ghetto pour les juifs tchèques, allemands et autrichiens, des artistes, des diplomates, des universitaires, un camp de concentration, un camp de transition avant Auschwitz. Un camp modèle pour les nazis, mettant en scène des conditions de vie idyllique pour la Croix-Rouge. de fausses boutiques bien achalandées, des baraquements repeints, une surpopulation que l'on cache à la hâte par un convoi massif vers les camps d'extermination, de la vraie musique, privilège ultime et pervers dont les autres étaient privés, et même un opéra pour enfants résonne entre les murs du ghetto. Une fausse abondance pour mieux cacher la Solution finale et son réel cynisme. Car en son sein, c'est la communauté juive pragoise elle-même qui se voit confier la tâche immonde de désigner ses semblables en partance pour l'Est.

Comment rester homme quand on vous réduit à un numéro ? Comment résister face à la déshumanisation ? L'éducation et l'écriture sont les solutions mises en place au coeur de Terezín. Les enfants vont à l'école, les artistes, les universitaires présents transmettent leur savoir et leur connaissance. Et eux, dans le secret de leur baraque, s'organisent en République, lui donne plus de sens qu'un simple système politique, lui donne la teinte d'un espoir, la couleur de l'humain. La République de Škid et son organe de presse clandestine, Vedem, un magazine publié au nez et à la barbe des bourreaux, des critiques littéraires, des dessins, de la satire et des poèmes. L'écriture comme un rempart à la bestialité. La poésie pour conserver sa dignité. À défaut d'éviter la mort, mourir en homme.

Mai 1945. le camp est libéré. La plupart des enfants de Terezín sont morts à Auschwitz-Birkenau, seul reste un enfant, épuisé, exsangue, désespéré. Mais il croise un regard, un regard myope, un regard d'huître. Robert Desnos vient d'arriver après une longue « marche de la mort ». Il est mourant, probablement atteint du typhus. Que se joue-t-il entre eux ? Se reconnaissent-ils comme semblables ? comme poètes, comme hommes libres ? Léo Radek le choisit, il veillera cet homme et l'accompagnera vers la mort.

Desnos, qui dans ses sommeils hypnotiques rêvait de rails, de trains et de l'Est. de la mort. de sa mort ? Dans le délire de la fièvre, dans la brume de la mort, il rêve encore. Il rêve à la vie, il revoit ses amitiés, parfois tumultueuses, ses coups de sang et ses colères, ses deux grands amours, la belle et terrible Yvonne, qui se refusa toujours à lui, abîmée par les hommes et par les drogues, et la séduisante et papillonnante Youki, celle qu'il refusa de laisser derrière, celle pour qui il ne fuira pas. L'amour et la liberté, ses deux grands combats, ses deux plus beaux engagements. Et la poésie pour les servir.

Lui et sa formidable pulsion de vie qui ne l'a jamais quitté, lui qui s'est laissé porter par sa bonne étoile, renonce pour la première fois. Il sait sa mort prochaine. Cet enfant, son dernier lien vers ce qu'il a été, son dernier espoir de transmettre ce qu'il est. Un homme libre, que la barbarie et la folie des hommes n'ont jamais pu briser. Une pulsion qu'il redonne à ce jeune garçon, un espoir qu'il lui rend, une vie qu'il lui offre. Et un ultime bonheur : celui de retrouver son nom avant de sombrer.

Et dans les cendres et dans les barbelés, repousse une fleur plus éclatante que la neige.

L'écriture d'Ysabelle Lacamp est merveilleuse et lumineuse. Un écho déchirant à celle de Robert Desnos, et un hymne puissant à la vie, à la poésie comme une force qui transcende l'horreur et la barbarie. C'est bouleversant, d'une beauté à pleurer, une ode fraternelle qui se dresse contre le malheur, contre la mort, contre l'oubli. Un récit généreux, essentiel, humaniste.

Comment meurt une étoile ? en éclatant en milliers d'autres étoiles.
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