Citations sur Lettres choisies de la famille Brontë (27)
Extrait de la Lettre n°88 de Charlotte à Ellen Nussey - 24 mars 1847
Je vais bientôt avoir trente et un ans - ma jeunesse s'est enfuie comme un rêve - et je l'ai bien peu mise à profit - qu'ai-je donc accompli tout au long de ces trente dernières années ? Infiniment peu -
Extrait de la Lettre 58 - Charlotte à Ellen Nussey - 23 janvier 1844.
Je ne sais si vous éprouvez la même chose que moi, Ellen - mais j'ai, par instants, l'impression qu'à l'exception de quelques amitiés et attachements, mes idées et mes sentiments de jadis se sont profondément altérés - Il y avait en moi une sorte d'enthousiasme, qui n'est plus aujourd'hui qu'une force assagie et éteinte - je me suis défaite de certaines illusions - je n'aspire plus qu'à une vie de labeur et d'efforts - je voudrais avoir un but à poursuivre. Haworth me parait un tel désert, si calme, silencieux, enseveli loin des yeux du monde - je ne me considère plus comme jeune, j'aurai bientôt vingt-huit ans - il me semble que je devrais être à l'oeuvre, aux prises avec les dures réalités d'ici-bas, comme tout un chacun. Mais pour l'heure, le devoir veut que je fasse taire mon désir et je vais m'y employer de mon mieux.
Lettre 72-Charlotte Brontë à Margaret Wooler
Haworth, le30 janvier 1846
Vous me demandez si la gent masculine ne me paraît pas bien étrange. J'avoue à la vérité, je l'ai pensé maintes fois - mais je trouve tout aussi singulière la méthode d'éducation qu'on lui applique : elle prémunit singulièrement mal contre les tentations. On élève les filles avec un luxe de précautions qui conviendrait à des êtres débiles et, disons-le ineptes, tandis qu'on lâche les jeunes hommes la bride sur le cou à travers le vaste monde, comme s'il n'existait pas de créatures plus sages et moins susceptibles d'égarements.
Je ne demanderai donc pas pourquoi Emily nous fut ravie, dans toute la plénitude de notre amour, pourquoi elle nous fut arrachée à la fleur de l'âge, encore riche de toutes les promesses de son génie, pourquoi son existence gît aujourd'hui comme le champ de blé encore vert et déjà foulé – comme un arbre dont la racine fut tranchée, alors qu'il était tout chargé de fruits. Je ne dirai que ceci :"Doux est le repos qui vient après le labeur, le calme qui succède à la tempête" et répèterai inlassablement que c'est là ce qu'Emily connaît désormais.
On nous parle sans cesse des dangers auxquels s'exposent les protestants lorsqu'ils vont séjourner en pays catholiques, où ils pourraient être tentés d'abjurer. Pour ma part, je conseillerais à tout protestant qui se sentirait le moindre penchant pour une aussi belle absurdité que de se convertir, d'enjamber la Manche pour venir voir un peu ce qu'il en est sur le continent, d'assister assidûment à tous les offices pendant quelques temps, d'étudier attentivement toutes les simagrées du rituel, ainsi que la physionomie stupide et mercenaire du clergé – et si au terme de cet examen, il discerne encore dans le papisme autre chose qu'un piètre composé de balivernes et d'enfantillages, eh bien, qu'il se fasse papiste à son tour et que l'on n'en parle plus !
Tout le récit dans une certaine mesure semble habité par son esprit : il hante les landes et les vallons et nous fait signe à la cime des Sapins des Hauts.
[Charlotte, 1848, à propos de Heathcliff]
Extrait de la Lettre 34 - Charlotte à Ellen Nussey - 20 novembre 1840.
Une jeune personne ne devrait jamais s'éprendre avant que la demande n'ait été faite et dûment acceptée - que la cérémonie nuptiale n'ait été célébrée et que le premier semestre de vie conjugale ne se soit écoulé - c'est alors seulement qu'une femme peut se mettre à aimer, mais avec la plus grande circonspection - le plus grand détachement - la plus grande modération - la plus grande rationalité. Si elle se prend d'un amour assez vif pour qu'un mot dur ou un regard froid de son époux puisse l'atteindre jusqu'au coeur - ce n'est qu'une sotte. Si elle s'éprend au point que le vouloir de son mari lui devient une loi - et qu'elle contracte l'habitude d'épier ses moindres désirs sur son visage, pour mieux les prévenir - ce sera bientôt une sotte délaissée.
Dans l'intervalle - vous dirais-je volontiers- laissons le public nous oublier, si tel est son bon plaisir, sans nous en inquiéter outre mesure ; et quant aux critiques, si les Bell possèdent réellement quelque talent, j'attends sans crainte le jour où on leur rendra justice en toute équité.
Il fut un temps où Haworth avait pour moi bien des charmes mais ce n'est plus le cas aujourd'hui - j'ai le sentiment que nous y sommes tous enterrés vifs - j'aspire à voyager - à travailler, à mener une vie active. Pardonnez-moi, ma chère Ellen, de vous importuner de ces vœux stériles - je vous laisse de côté le reste, sans plus vous tourmenter avec tout ceci.
Je suis au matin de ma vie et mes jours ont trop d'éclat encore pour que je demeure dans de perpétuelles ténèbres.
[Branwell, 1836]