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Critique de Woland


Woland
03 septembre 2009
Avant tout, nous rappelons que Babelio a décidé de s'associer à un projet ambitieux : chroniquer l'ensemble des romans de la rentrée littéraire. Vous retrouverez donc aussi cette chronique sur le site "Chroniques de la rentrée littéraire" qui regroupe l'ensemble des chroniques réalisées dans le cadre de l'opération.

Nous remercions les Editions Grasset qui nous ont gracieusement expédié cette "'Enigme du Retour" de Dany Laferrière, roman-chronique que nous détaillons ci-après.

Perdu dans les neiges de Montréal, où il s'est réinstallé en 2002 après avoir vécu un temps en Floride, l'auteur haïtien Dany Laferrière apprend le décès d'un homme dont le souvenir ne survit en lui que par les photos et les récits d'autrui : son père. Après l'enterrement, il prend son bâton de pélerin et rejoint Haïti pour y retrouver le disparu - et aussi se retrouver lui-même.

Car leur destin est similaire et celui du père a influé de manière déterminante sur celui de ce fils qu'il n'a pourtant pratiquement pas connu. Menacé par les sbires de François Duvalier (surnommé "Papa Doc" par les autochtones), le père a pris le chemin de l'exil, renonçant à une vie de chien couchant, stable mais humiliante et dépourvue du droit à la parole, pour celle, plus compliquée et infiniment solitaire, de l'homme qui entend vivre et mourir debout. Redoutant la vengeance de Duvalier, la mère de Dany Laferrière, qui vivait à Pointe-à-Pitre, s'est alors séparée de son fils, qu'elle a expédié à Petit-Goâve, chez sa propre mère, la grand-mère Da à qui l'écrivain a si souvent rendu hommage dans ses livres.

A onze ans, l'enfant réintègre le foyer maternel pour entamer ses études secondaires et, bon chien chassant de race, il emprunte, en devenant adulte, la voie droite, royale, mais semée d'embûches sur laquelle, un jour, son père s'était évanoui ainsi que disparaissent au chant du coq les visions du vaudou.

Et ce qui devait arriver arriva : après l'assassinat d'un ami journaliste par les Tontons Macoute qui, entretemps, étaient passés au service du fils du dictateur, Bébé Doc, à son tour, sans prévenir personne d'autre que sa mère, Dany Laferrière se laissa engloutir par le vaste monde, disant un adieu qu'il croyait définitif à Haïti, son soleil, ses goyaves et la poussière de ses cimetières que hante depuis toujours le Baron Samedi.

Dans "L'Enigme du Retour" - dont le titre fait peut-être écho à "L'Enigme de l'Arrivée", de V.S. Naipaul, auteur britannique né, lui aussi, dans les Caraïbes - Laferrière dépeint l'errance et l'instabilité qui l'habitent, la déchirure qui marque en lui la frontière entre son "Moi" enraciné à Haïti, amoureux du soleil malgré la misère ambiante et les horreurs de la dictature, et son "Moi" exilé qui, bien que vitupérant le colonialisme, ne peut s'empêcher de sourire avec ironie lorsque son jeune neveu, qui n'a jamais quitté son île, évoque Montréal comme il parlerait de l'Eldorado.

L'action est ici pratiquement nulle, l'auteur se promène et se souvient, nous conviant à visiter son Haïti à lui, avec sa chaleur écrasante, ses bidonvilles immuables, ses paysans qui attendent, son vaudou - qui semble d'ailleurs aussi mystérieux pour Laferrière qu'il le serait pour n'importe quel Européen - et son passé - ce passé dont le pays ne parvient pas à se débarrasser.

Le style est très simple, les phrases courtes ont parfois des airs - vrais ou faux, je n'ai pas su le démêler - de vers libres. La pudeur est au rendez-vous toutes les fois que l'écrivain évoque ce père avec qui il aurait voulu jouer, grandir et partager son exil.

Un seul bémol - oui, je vais oser car j'ai mes convictins, moi aussi ;o) : il est pénible de voir un homme aussi intelligent et aussi sensible que Danny Laferrière raisonner comme si l'Occident, et l'Occident seul, avait inventé la colonisation et l'esclavage.

En tant qu'Occidentale et Française d'origine espagnole et portugaise, j'admets sans problème la responsabilité occidentale dans le destin passé et actuel d'Haïti. Mais l'esclavage existait chez les peuples les plus anciens et, si l'on veut traiter la question avec un maximum d'impartialité, il convient de ne pas passer sous silence les pratiques des Arabo-musulmans en Afrique, et ceci dès le VIIème siècle de notre ère au moins. (Cf. à ce propos l'excellent ouvrage de Jacques Heers : "Les Négriers en Terre d'Islam.")* Sans oublier la complicité des chefs africains qui pratiquaient eux-mêmes l'esclavage. Quant au colonialisme ... le premier homme des cavernes qui a décidé de s'emparer des terres du clan voisin est celui qui l'a inventé : était-il blanc, était-il noir, était-il rose à pois bleus ? Qu'en saurons-nous jamais ? L'être humain peut avoir différentes couleurs de peau : mais l'instinct de profit, lui, est universel.

Malgré cette divergence, j'ai suffisamment apprécié "L'Enigme du Retour" pour en recommander la lecture, tout particulièrement à celles et ceux qui n'ont pas pu vivre tout ce qu'ils auraient voulu vivre avec leur père disparu.

* : Autre ouvrage à lire sur la question : "Esclaves chrétiens, maîtres musulmans", de Robert C. Davis, qui traite le sujet de 1500 à 1800 en Mer Méditerranée. Ca remet les idées en place."
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