« J'ai toujours rêvé d'une biographie qui exclurait les dates et les lieux pour ne tenir compte que des émotions ou des sensations, mêmes fugaces. La première fois que j'ai vu une libellule. La fois que je suis entré dans la mer en ignorant qu'il fallait savoir nager. La fois que j'ai assisté à l'exécution d'un prisonnier politique près du cimetière de Port-au-Prince. le dernier regard de ma mère me voyant partir en exil. Ma première promenade dans la cour de l'Académie. Et toutes les fois que j'ai regardé dans un ciel étoilé en espérant trouver la Niña Estrellita. »
Dany LaferrièreDany Laferrière nous entraîne dans une merveilleuse lecture-conférence-projection avec sa poésie et ses poètes préférés. Une façon joyeuse de saluer un parcours exceptionnel d'écrivain (37 livres et de multiples distinctions depuis 1985) et de conjuguer un compagnonnage ainsi que nos anniversaires : il y a dix ans tout juste il ouvrait la programmation de la Maison de la Poésie devenue scène littéraire, il y a dix ans également, il entrait à l'Académie Française. Pardon pour les dates, place à l'émotion.
« Je marcherai
s'il le faut
toute la nuit
afin de me
rendre disponible
à l'imprévu. »
Dans la splendeur de la nuit, Dany Laferrière
À lire Dany Laferrière, Vers d'autres rives, éd. de l'Aube 2019 Dans la splendeur de la nuit, Points, 2022 Petit traité du racisme en Amérique, Grasset, 2023.
+ Lire la suite
On n'est pas insomniaque si on sait lire.
L'ART DE LIRE LA POÉSIE
Voilà une chose dont on ne parle
presque jamais et qui devrait faire
partie de notre mode de vie urbain :
la lecture de la poésie.
Depuis qu'on a quitté la campagne
pour cette vie accélérée la lecture
de la poésie est devenue aussi
essentielle que l'oxygène.
Les médecins auraient dû prescrire la poésie
comme traitement contre le stress.
Si les poètes semblent si angoissés c'est
pour que leurs lecteurs puissent mieux
respirer. D'abord un conseil : ça ne se lit
pas comme un roman. Chaque poème
est autonome. Prenez deux poèmes par jour :
un le matin et un autre le soir.
Trouvez un vers qui vous plaît et
ruminez-le durant toute la journée
jusqu'à ce qu'il s'incruste dans votre chair.
Le désir c'est la distance à parcourir entre la soif et la fontaine qui recule au fur et à mesure qu'on avance vers elle.
Il arrive toujours ce moment
où l'on ne se reconnaît plus
dans le miroir
à force de vivre sans reflet.
Lire n'est pas nécessaire pour le corps, seul l'oxygène l'est, mais un bon livre oxygène l'esprit.
Je suis un écrivain japonais
On a deux vies au moins. Une qui s'installe dans notre mémoire comme une pierre au fond de l'eau, et l'autre qui disparaît au fur et à mesure qu'elle se déroule comme si c'était vaporeux.
Aujourd'hui à cinquante-six ans, je réponds non à tout. Il m'a fallu plus d'un demi-siècle pour retrouver cette force de caractère que j'avais au début. La force du non. Faut s'entêter. Se tenir debout derrière son refus. Presque rien qui mérite un oui. Trois ou quatre choses au cours d'une vie. Sinon il faut répondre non sans aucune hésitation.
C'est simple : pour empêcher un Haïtien de rêver, il faut l'abattre.

Ma vie est un livre ouvert. Il n'y a pas de secret (elle dit ça en me regardant droit dans les yeux)... Ecoute , hier, j'ai envoyé de l'argent à Gilberte parce qu'elle a des problèmes, et quand elle a des problèmes, devine à qui elle s'adresse. Remarque, je n'ai rien contre, je n'ai pas envie qu'elle aille mendier à un homme, ça c'est impossible, aucune fille de Da ne s'est jamais humiliée ainsi. Résultat : il n'y a pas d'homme dans cette famille, d'accord, il y en a eu un et c'était ton père, pas n'importe qui... Les hommes, nous, on n'en a pas besoin. D'ailleurs à quoi ça sert, hein ? Qu'est-ce- que je ferais d'un homme ? J'aurais plutôt besoin d'un petit vieux millionnaire, non, milliardaire, parce que millionnaire aujourd'hui ça ne veut rien dire, et en plus il faudrait qu'il soit presque mort, deux ou trois ans à vivre, pas plus, parce que ça peut devenir lassant, tout ce qui dure trop longtemps devient lassant à la fin...
J
Faut lire Hemingway debout, Basho en marchant, Proust dans un bain, Cervantès à l’hôpital, Simenon dans le train (Canadian Pacific), Dante au paradis, Dosoto en enfer, Miller dans un bar enfumé avec hot dogs, frites et coke… Je lisais Mishima avec une bouteille de vin bon marché au pied du lit, complètement épuisé, et une fille à côté, sous la douche.