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Critique de raton-liseur


En ce tout début de mois de février, presqu'exactement deux ans plus tard, le festival « Etonnants Voyageurs », dont la précédente édition avait été annulée pour cause de séisme, se tient enfin comme promis à Haïti. Revanche sur le sort aveugle ? Symbole d'une culture qui se réinvente alors que la reconstruction physique n'est toujours pas finie ? le séisme a été au coeur de toutes les interventions, ressassement sans fin d'une élite intellectuelle traversée par cet évènement et dont chaque écrivain, chaque poète, à sa façon propre, s'interroge sur la répercussion de cet évènement dans son oeuvre individuelle et dans la culture collective.
Entendant Dany Laferrière, célèbre auteur Haïtien exilé depuis longtemps au Canada, dans un de ces débats, j'ai voulu lire le livre qu'il a écrit sur l'évènement. Il était à Haïti, ce fameux 12 janvier, deux jours avant le début de ce festival dont il est vice-président et qui n'aura finalement pas lieu.

Ce livre n'est pas un roman. C'est une collection de souvenirs, d'impressions. Il explique lui-même qu'il a toujours un petit carnet noir sur lui, pour noter ses idées où qu'il soit et que, lors du séisme, il a écrit frénétiquement, pensant que, s'il était dans la bulle de son écriture, la mort ne pourrait l'atteindre. J'ai l'impression, en lisant ce livre d'ouvrir directement ce carnet noir, et les sensations brutes de cet homme, confronté à une catastrophe qui le prend au dépourvu. Comme disait un autre auteur (Yanick Lahens) dans ces mêmes débats, il faut faire oeuvre littéraire, prendre le matériau du séisme et de sa cohorte de drame pour faire oeuvre littéraire. On ne peut pas dire que le livre de Dany Laferrière est une oeuvre littéraire. C'est un témoignage, le récit d'une personne qui était là, mi-étranger (il sera évacué par les Canadiens) et mi-homme du lieu dont la famille proche aura survécu.
Ceci posé, je peux dire ce que ce témoignage m'inspire, sans juger de la qualité littéraire du livre. Et je dois avouer que, passées les premières pages et la catastrophe elle-même, ce témoignage m'a surpris. Il me paraît étrangement froid, distancié, extérieur à ce qui l'entoure. La réconfortante odeur du café semble plus importante que les détresses qui l'entourent, comme s'il avait préservé autant que possible une vie normale dans le chaos qui l'entourait. Traversant la ville pour aller au restaurant quelques semaines après le séisme et voyant les tentes où s'entassent les gens qui n'ont plus rien « [il se] demande comment font les gens pour dormir dans la boue, chaque nuit. » (p. 79, “Un tremblement de corps”). Et il passe à autre chose, retourne à son quotidien sans s'appesantir plus sur la question. C'est comme si seul son drame individuel, sa capacité personnelle à assimiler l'évènement était la seule chose qui l'intéressait.
Qu'on ne s'y méprenne pas, je ne critique pas son attitude, je ne demande pas qu'il ait été un héros volant au secours de la veuve et de l'orphelin. Ce qui me dérange dans ce livre, c'est justement ce hiatus entre ce qui me semble le but avoué de ce livre, être un porte-parole de ce peuple haïtien qui relève la tête et fait face, et le contenu du livre, centré sur sa personne. Au final, les deux s'annulent pour donner un témoignage fade et, me semble-t-il, convenu. Des jolies phrases qui font mouches émaillent certes ce récit, mais pas assez pour transmettre ni l'émotion d'un homme ni celle d'un peuple.
« Pour Homère si les dieux nous envoient des malheurs c'est pour qu'on en tire des chants. » (p. 36, “Mon neveu”). Il aurait fallu choisir sa voix, ce livre n'a pas trouvé la sienne.
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