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Quel roman, récemment couronné par le prix Fémina, raconte de façon saisissante l'histoire d'Haïti, première colonie à conquérir l'indépendance et pays le plus déshérité des Amériques ?
« Bain de lune », de Yanick Lahens, c'est à lire en poche chez Points.
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Du jour où j’ai compris que la mort pouvait me dérober un visage aimé, du jour où j’ai compris que ceux que j’aimais étaient mortels, j’ai voulu les aimer plus forts. Quelquefois, je rêvais la nuit les yeux ouverts. J’inventais des scénarios macabres, des tremblements de terre des inondations ou des accidents dans lesquels disparaissaient ou s’engloutissaient ceux que j’aimais. J’attendais au bout de quelques minutes de sentir les larmes couler le long de mes joues. Je rêvais leur mort et me sentais rassurer de les aimer si fort.
Elles se relayèrent sans faiblir, enchaînant une histoire après l’autre… Les frasques des concubins, l’impertinence des matelotes*, les soucis des enfants. Celles des jardins, où elles s’esquintaient à faire pousser légumes, petit mil et maïs. Celles du jardin le plus précieux, qu’elles, les femmes, gardaient là, lové entre leurs hanches, et qui n’appartenait qu’à elles. Et des hommes qui y avaient fait une halte pour raviver des sources et allumer des feux. P 51
Rancœurs, haines, privations, je les accueillerai bientôt toutes. Sans distinction aucune. Comme des commères bavardes. Je porte au-dedans de moi tant d’autres femmes, des étrangères qui empruntent mes pas, habitent mon ombre, s’agitent sous ma peau. Pas une ne manquera à l’appel d’une jeune femme de trente ans que le temps a usée sur toute sa surface.
Miles Davis avait expliqué que le jazz était de la musique, rien que de la musique, parce que sous le mot jazz, il entendait trop le mot nègre.
Certains évoquèrent la présence d'une chévre postée au bord du chemin et parlait distinctement en laissant apparaître deux dents en or.
Vivre et souffrir sont une même chose.
Quelquefois les mots de trop rendent les fardeaux encore plus lourds à porter.
Man Bo n’a jamais aimé que je m’attarde dans la cour une fois la nuit tombée. Elle n’aimait pas la nuit, Man Bo. « La nuit est menaçant pour qui ne la connait pas », me disait-elle. « Tous ceux qui ne peuvent pas vivre le jour comme tout le monde, les bandes, les sociétés secrètes, les zombis à la file indienne, les morts en perdition, les humains transformés en cabris ou en porcs, déambulent dans les rues ou se tapissent dans les fourrés et les ombres. » Man Bo glissait du coton ou des morceaux de tissu aux interstices de l’unique porte et des deux fenêtres de sa chambre par crainte des mauvais airs. Man Bo respirait à peine la nuit.
Elle voulait taire ce qui commençait imperceptiblement à murmurer au-dedans d'elle. " Tu ne vas tout de même pas te laisser impressionner par l'insistance du regard d'un homme que tu connais à peine. " Une partie d'elle-même en était comblée, une autre s'en inquiétait. Il y a toujours une manière pour deux personnes assises l'une à côté de l'autre de nier que le silence parle à leur place. De tout, de rien, mais surtout d'un homme désirant et d'une femme au bord de l'enchantement.
Lire, c'est ouvrir les portes du silence, y pénétrer à pas feutrés, le coeur battant, et miser gros sur l'inconnu. Ce qu'on apprend dans les livres de Christian Bobin, c'est la grammaire du silence. Et cette langue n'a point de fin. Et elle me console. Souvent.