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Critique de Colchik


Quand j'entame la lecture d'un livre de Marie-Hélène Lafon, je commence toujours par chipoter : pourquoi sa phrase est-elle si blanche ? Pourquoi pose-t-elle un regard si distancié sur ses personnages ? Pourquoi cette raideur qui corsète la narration ? Bref, je mégote, je fais semblant d'être agacée, je renâcle à avancer, comme une monture reprochant à son cavalier de tenir les rênes trop courtes. Parce que je connais les chausse-trappes de l'auteur sur lesquelles je vais inévitablement poser le pied et l'émotion du souvenir me brûlera avec la fulgurance abasourdie que laisse une vieille blessure tout à coup rouverte. Elle est comme cela, Marie-Hélène Lafon, un passe-muraille de la mémoire qui rentre par effraction chez vous. Elle a l'air de parler de tout et de rien, sans jamais appuyer et, au détour d'un fragment de ce récit passé au tamis de la sobriété, sa phrase vous laisse une buée sur les yeux qui se dissipe dans un sourire nostalgique et doux.
Jeanne Santoire est une comptable qui vient de prendre sa retraite. Chaque jour, elle fait ses courses au Franprix de la rue du Rendez-Vous où elle observe Gordana, l'hôtesse peu amène de la caisse huit, et Horacio Fortunato, une homme encore jeune mais déjà dépossédé de son existence. Elle donne corps à ces destinées oubliées dans la rumeur de la grande ville, leur prête famille et obligations, tracas et solitude, mais aussi le souci de l'autre qu'il soit un enfant ou un vieux parent. Jeanne invente, soupèse, imagine à partir d'indices minuscules, un porte-monnaie tombé au sol et qui laisse échapper une photo, des achats, une rencontre imprévue dans le métro ou à la pharmacie. Elle devient comptable de Nos vies, nos vies réelles, imaginaires, rêvées, échouées sur l'usure du quotidien, voire fracassées sur les écueils semés sous nos pas. Jeanne a eu sa part de déceptions, de désillusions quand son compagnon, Karim, a disparu au retour d'un séjour en Algérie, après dix-huit ans de vie commune. Elle a replié son chagrin pour qu'il n'envahisse pas tout, trouvant auprès de ses parents, de ses trois frères et de leurs familles un sol ferme la rattachant au monde, à Saint-Hilaire, à son enfance. C'est là où elle puise sa force quand Gordana, l'exilée de l'Est, est privée de cet ancrage. Et il y a aussi l'amitié, celle d'Isabelle, enfermée pour le meurtre de son mari, celle de Madame Jaladis, sa voisine, car la vie défait et refait sans cesse les liens entre les êtres. Une vie s'efface mais renaît sous une autre forme, un visage apparaît comme une image tremblée du bonheur toujours possible. Jamais l'auteur ne se fait le scribe du désespoir, c'est toute la force de sa voix.
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