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Critique de vibrelivre


Quand tu écouteras cette chanson
Lola Lafon
récit
Stock, 2022, 180p


La citation de Steiner, Les hommes sont complices de ce qui les laisse insensibles, placée en exergue, dit immédiatement de quoi il s'agit : le livre est un plaidoyer contre l'indifférence. Comme l'héroïne du livre reste Anne Franck, l'autrice du fameux Journal dont tout le monde parle, mais que peu ont vraiment lu, et dont les quatrièmes de couverture vantent la paix, l'espoir, la dignité, en laissant sous silence la Shoah et les nazis, c'est un plaidoyer contre l'indifférence à l'égard des Juifs pendant la guerre mais aussi à l'égard des opprimés de tous temps. C'est un plaidoyer tout de colère, dont l'écriture doit être impérative, Lola Lafon forge des formules comme des poignards, Je n'ai rien fait, savent les adultes qui passent leur chemin, mais aussi un témoignage de l'indifférence, comme avec cette directrice d'école qui dresse la liste des enfants de sang juif, et un moyen de transmission. Rosetta, 95 ans, répond; Que dire ? Tu ne pourrais imaginer. Heureusement. Cependant il faut imaginer. Tout est court dans ce livre, les phrases, les paragraphes, les chapitres ; les pages montrent des signes qui se détachent sur beaucoup de blanc. du blanc qui invite les lecteurs à méditer, à se déprendre d'eux-mêmes pour écouter les bruits de l'histoire. Lola Lafon dit qu'un roman ne peut être transparent, il est tissé de doutes et de solitude... un roman ne vend pas, il propose. Entrons dans la proposition.
le 18 août 2021, Lola Lafon passe une nuit dans l'annexe du musée d'Anne Franck, là où à l'étage cette dernière a vécu deux ans avec ses parents et sa soeur et une autre famille sans faire aucun bruit qui puisse les dénoncer aux travailleurs du rez-de-chaussée. L'annexe, c'est la maison dévastée des Franck, pour que tous voient le vide et s'y confrontent. Lola Lafon ne peut entrer dans la chambre d'Anne, elle est paralysée. En mai, deux syllabes, Anne Franck, avaient surgi dans son sommeil, sans qu'elle sache pourquoi, mais elle en était obnubilée.
Anne Franck est la toute jeune fille qui écrit sa vie, gagnant du temps sur la mort, pour être lue. Elle se relit, se corrige, fait oeuvre d'écrivain. Elle est intelligente et irrévérencieuse, plus mûre que son âge. Elle écrit dans une sorte d'urgence, mais sait aussi écouter son texte qu'elle débarrasse de scories.
Lola Lafon s'affole. Cette nuit au musée ne laissera pas de traces ? Lola est Juive. Elle aussi a hérité d'un récit troué de silences. Elle en est dévastée. Sa famille fut très marquée par la Shoah. Lola a erré, en passant par la Pologne, la Russie, la Bulgarie, la Roumanie, la France du Sud Ouest. Elle se veut normale. Elle choisit de danser, pour la légèreté. Or la danse, c'est à la fois la cruauté et la concurrence. Béjart dit : une danseuse est à demi nonne, à demi boxeuse. C'est cela, survivre, un hasard, un miracle, vivre plus fort pour et à la place des disparus. La danse se transmet geste par geste, d'une danseuse à l'autre, la plus infime inflexion d'un poignet se « confie » comme un secret. Deux autres syllabes surgissent : Charles Chea, qui lui permettent d'entrer dans la chambre d'Anne. Charles est cet adolescent que les Khmers rouges obligent à rentrer dans son pays, pour le tuer. Il lui a offert un disque : quand tu écouteras cette chanson, lui dit-il, et cette chanson devient l'hymne de l'innocence sacrifiée, celle d'Anne, celle de Charles, mais aussi celle de Lola qui subit la transmission du traumatisme de la Shoah, lequel s'étend sur plusieurs générations.
Lola se dit d'une voix discrète, pudique.
C'est un beau livre dont on tourne les pages avec avidité et envie. Mais pourquoi la jaquette porte-t-elle la photo de Lola Lafon, encadrée de jaune ? Ne serait-ce pas parce que, contre le déni des négationnistes, Lola l'écrivaine dialogue avec l'écrivaine Anne, elles qui ont le pouvoir des mots ?
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