Edward et Wilfried restèrent silencieux jusqu'à ce que le mort finisse son verre en deux autres gorgées et s'en resserve un autre. Edward remarqua que le liquide passait entre les côtes du cadavre et mouillait son fauteuil, mais le mort n'y prêta aucune attention.
Maeva se fit piquer par on ne saura jamais quoi et Wilfried se décrocha la jambe droite à partir du genou, le pied s'étant coincé à son insu sous une grosse racine. La jeune fille poussa un cri d'effroi mais le mort la rassura bien vite :
_ C'est rien, c'est rien. Ça ne me fait pas mal du tout... Regarde, je vais la remettre en place illico et il n'y paraîtra rien.
Aussitôt dit, aussitôt fait le cadavre saisit son mollet, l'extirpa de sous la racine et le fixa au reste de sa jambe
_ Voilà, ni vu, ni connu, dit-il en écartant les bras.
Edward tendit ses deux mains vers le petit tas de terre meuble. Il récita alors une incantation :
Isidore, noble grand chat de la lignée
Des félins bourgeois qui font des publicités,
Sort tout de suite de ce cercueil en carton
Et obéis-moi sans te plaindre d'un ronron.
« Du sang...
Il en avait plein les mains.
Il venant de se prendre une balle en pleine figure.
- Regardez! Regardez! Il pisse le sang, cria-t-on devant lui.
Le choc lui avait mordu le visage et l’avait mis à genoux malgré lui. Il sentit comme une main glacée lui tordre les intestins alors que des ombres furtives s’agglutinaient devant ses yeux dans un chahut chaotique, engloutissant la lumière spectrale qui descendait du plafond. Il retint ses larmes tout en plaquant ses mains sur ses narines endolories. »
Il fut un temps où aucun étranger arrivant au village n'en repartait vivant ou sans avoir été victime d'une malédiction. Heureusement, au fil des années, ces monstruosités n'ont cessé de diminuer, jusqu'à disparaître, sans raison précise : des chasseur de sorcières ? Un exode de nécromanciens ? La magie noire n'était plus à la mode ? Personne ne le sait.
Les grilles du cimetière étaient grandes ouvertes, mais il n’en était pas moins désert. Il n’y avait même plus de fossoyeur depuis plusieurs années et n’étant plus entretenu, la mauvaise herbe avait camisolé les tombes, condamné les tombeaux, bâillonné les quelques statues d’anges et de saints ici et là, et étranglé les couronnes et les pots de fleurs destinés aux défunts. La pluie et le froid avaient gommé un certain nombre d’épitaphes dorées qui étaient devenues aussi blanches que de la craie. Les caniveaux étaient gavés de feuilles mortes noyées d’eau et les allées étaient partiellement couvertes de mousse d’où s’échappaient des ramifications squelettiques.
— C’est… c’est bizarre votre truc.
— Tu comprendras quand tu seras mort…