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Critique de patricelucquiaud


Aller au-devant des galères fait souvent partie des misères humaines... « c'est un peu le jeu ma bonne Lucette ! »... mais aller droit aux enfers, c'est plutôt contre nature, à moins d'être vraiment déboussolé au niveau comportemental et de se trimbaler une de ces névroses à relents suicidaires comme certains grands exaltés fanatiques et autres maniaco-dépressifs en sont peu ou prou affectés...

Quittant le seuil de sa maison, ma foi, tout peut arriver, on peut envisager le pire... mais c'est bien à cela qu'on pense le moins en sortant de chez soi. Et, si en plus, votre but de sortie est d'aller assister à un spectacle fut-il un concert de hard rock, rien ne vous effleure l'esprit qu'à cet endroit vous allez vivre le pire cauchemar de votre existence à la différence que le cauchemar n'a rien d'un affreux rêve mais n'est que la terrifiante et inconcevable réalité...



L'auteur du livre nous raconte le 13 Novembre 2015 tel qu'il l'a vécu au Bataclan entre 21H15 et 2H30 du matin... car ce soir là Erwan Lahrer assistait bien au concert des EODM (Eagles Of Death Metal)... métal de la mort... le signe est fort, la symbolique de l'aigle qui porte la mort en ses serres alors que, des bouches à feux, fusent des milliers de petits bouts de métal perforant, elle, est apocalyptique !



Vivre cela jusque dans ses chairs meurtries au milieu du chaos, de mares de sang, de corps abattus certains déjà inertes, d'odeur de poudre, d'enchevêtrement de bras de jambes, couché dans sa fange, faisant le mort, attendant la balle du coup de grâce, que l'on soit le meilleur écrivain du monde, on n'a aucunement envie de conter et donc revivre ces instants de l'horreur absolue.

Manuel et Alice vont devoir se montrer très persuasif face à un Erwan convalescent qui a juré par tous les grands dieux du panthéon des littérateurs que jamais il n'écrirait un tel livre où il serait son propre héros, lui estimant qu'en la situation il n'a jamais été héroïque, sinon recroquevillé sur son être dépourvu, non d'humanité mais plutôt d'âme, de ce « soi-je » anesthésié par la peur de mourir ne sachant s'il n'est pas déjà mort, vautré dans la fange hémoglobine, son insupportable odeur, attendant que ça se passe... que ça se passe... mais quoi... au juste... que se passe-t-il à ces heures de la nuit qui soit un événement dont on sent bien qu'il est intensément dramatique, hors toute bonne raison, disproportionné dans l'horreur ayant déjà franchit de loin, les frontières de l'inimaginable ?



Il est « caillou » nous dit-il …

En fait, dans ce drame hormis toutes les victimes et les survivants, Ils se trouvent être deux : L'homme Erwan et l'écrivain... alors question : lequel témoigne ?...



Très curieusement quand il écrit à la première personne, ce n'est pas lui qui s'exprime ce sont ceux qui ont vécu l'événement de l'extérieur et ils sont nombreux, ses amis, ses relations, sa famille, ses parents qui, ce 13 Novembre, dès 22H, sont informés de l'effarante actualité des attentats perpétrés dans Paris et jusqu'au stade de France à Saint-Denis.

Ce sont eux, les vrais héros, nous dit l'auteur ou, si vous préférez, l'écrivain, eux qui se sont fait un sang d'encre, ont angoissé sur le sort de Erwan dont ils avaient su qu'il était ce même soir au Bataclan, salle de spectacle devenue soudainement le théâtre d'un carnage innommable.

C'est à la deuxième personne que l'auteur décrit ce que Erwan a vécu minute par minute ce soir là et les jours d'après ? Un peu comme lorsque l'on se parle à soi du dehors pour apprécier ses faits et gestes, ses menées avec une empathie empreinte de neutralité, confident mais pas complice et surtout sans concession sur sa propre image...

L'homme se livre à nous, se libère de certains poids alors que son corps est devenu pesant, son entendement opaque, son âme retournée à l'enfance. Oui, on se trouve dans l'intimité de Erwan Lahrer, qui ne se départit nullement d'une certaine pudeur au niveau des sentiments, celle concernant son anatomie, elle, il la remise au cimetière des tabous car, se prendre une balle dans les fesses, lui vaudra d'exposer ces fondements si intime de sa personne à bien des regards de praticiens du milieu hospitalier autant qu'à des amis qui veulent comprendre le pourquoi une putain de balle ça rentre et ça sort non sans provoquer des lésions physiologiques aux conséquences redoutables…

Et, coïncidence frisant le comique, Erwan Larher est entrain de mettre une dernière main à son manuscrit « Marguerite n'aime pas ses fesses»



Alors, ce livre qu'il voulait ne pas écrire, eh bien, il faut le lire absolument... non poussé par les basses motivations tenant au voyeurisme quant au récit du carnage car l'auteur va bien au-delà, il ne veut pas que le lecteur sombre dans le misérabilisme le plus noir, au contraire, il nous montre tout ce qui s'est passé autour de l'événement, racontant ce qu'il a appris par la suite de la bouche de ses amis et relations l'ayant en grande estime, et qui se sont vivement inquiétés de son sort au cours de cette folle nuit du 13 au 14 novembre 2015.

L'auteur n'a rien perdu de sa verve et de son vocabulaire, ni du sens puissant de l'image pour, aussi, mettre noir sur blanc, tout ce qui lui a effleuré l'esprit pendant et après cette terrible nuit. Cela remis en ordre dans le livre, il développe alors un condensé de réflexions parfois profondément philosophiques sur la condition humaine de notre temps en phase avec la réalité sociale et historique de ce que l'humanité fomente en petit ou en grand, en cercle ou en comité au niveau politique, ou en entreprise... misère des hommes et des femmes de notre temps présent, en proie à la course folle du réussir pour exister et non du exister pour, au moins, avoir réussi à être vraiment soi.



Romancée, doit l'être la partie où il plonge dans les derniers instants avant l'assaut des trois terroristes qui ont semé la mort au Bataclan et qu'il nomme alors : Efrit, Saala et Iblis. Derniers échanges, états d'esprit, mouvements d'humeurs de ces sinistres porteurs de mort. Plus loin, il y aura tout un plaidoyer sur les circonstances qui ont poussé ces hommes vers l'inacceptable barbarie, un plaidoyer qui n'excuse nullement leur passage à l'acte mais qui démontre comment ils se sont fourvoyés sur le monde auquel ils appartiennent et dont ils ont tant de mal à penser, n'ayant fait la part entre ce que l'on doit en attendre et ce que le monde a à attendre de nous : recevoir donner – donner recevoir... Qu'est-ce qui n'a pas été intégré chez ces pseudo intégristes ?...



Lisant ce livre, j'ai beaucoup aimé ces passages où, en grande sincérité, Erwan Larher fait l'éloge du personnel hospitalier à tous les échelons de la hiérarchie et des compétences, du chirurgien à l'aide-soignante. Il en relève beaucoup d'humanité, de dévouement relayé par la bonne dose d'empathie et de compassion nécessaire pour soulager, permettre de reprendre espoir, et surtout guérir, faciliter l'autoguérison du corps et de l'âme.



Page 169, paragraphe en bas de page, au début des quatre dernières lignes : « le corps ne se retape pas sans amour ; il faut lui donner une raison de lutter. Tu bénis ton naturel jovial, qui te fait non pas prendre mais recevoir l'épreuve à la légère. Il existe un mot en occitan : lou ravi ».





Oui, parfois le destin nous pousse vers des endroits infernaux où en toute lucidité, on ne voudrait jamais mettre les pieds… on peut, comme l'auteur y laisser ses santiags mais jamais son âme pour peu qu'on garde la bonne dose d'humilité, justement, en recevant cette épreuve à la légère, et en sachant sourire à l'ange qui nous adombre...



Un très grand moment de lecture et surtout une formidable leçon d'humanité ...
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