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Critique de djdri25


Je remercie l'opération masse critique, Babelio et les éditions Gallimard de m'avoir permis de découvrir ce beau roman de Camille Laurens.
Il est m'est gracieusement tombé dans les mains cet été, c'est donc avec plaisir que je l'ai intégré à mes lectures.
Laurence, la narratrice raconte dans le premier chapitre sa naissance en tant que fille, le reste du livre, en forme de biographie, se centre sur le récit de son enfance, sa jeunesse puis celui de sa vie d'adulte et de mère.
A la lecture de ce livre, on découvre les drames qui ont parsemé sa vie, couplés à une interrogation incessante et obsédante, sur l'identité sexuelle et féminine en opposition au masculin.
Dans l'incipit, la narratrice se focalise sur sa naissance, comme si le personnage-narrateur du livre était né avec la langue qui lui a permis de se nommer et d'écrire ; C'est ainsi que l'histoire commence. La langue donnant ainsi vie à l'histoire. Au début de l'oeuvre, la vie naît de la langue dans un mouvement de va-et-vient incessant entre les deux entités. La langue est primordiale, travaillée, elle fusionne avec la narration. La naissance de « Fille » est définie par la grammaire, c'est l'élément féminin qui naît en opposition au masculin, dans fille, il y'a un e. « C'est un(e) fille », l'auteur le souligne en évoquant une coupure fondamentale entre le féminin et le masculin, comme une brisure, une cassure. La poésie de l'écriture martèle de manière obsessionnelle l'expression « C'est une fille », la narratrice éprouve ce besoin de répétition comme pour se réapproprier son identité mais aussi pour souligner l'anéantissement du fantasme familial sur le désir de pérennisation de la lignée masculine ; « C'est une fille » signifie d'abord « Ce n'est pas un garçon ».
Le Masculin l'emporte sur le féminin, dès la conception de l'enfant, dans les désirs et les fantasmes familiaux. Les espoirs sont alors anéantis lorsque la fille naît, d'autant plus que l'histoire se répète, Laurence, c'est la deuxième fille de la cellule familiale. L'aînée est prénommée Claude, les parents ont tenu à intégrer du masculin dans la féminité. L'enfant à naître devait s'appeler Jean Matthieu prénom combiné entre ceux du père et du grand-père, l'histoire familiale fait peu de place à la fille.
Le début du récit se situe dans le contexte de la fin des années 50, 1959, c'est l'année de la naissance de fille, avant la libération des moeurs, du féminisme, avant le succès de Simone de Beauvoir, avant les revendications de 1968.
C'est en toute logique que son père décide finalement que le prénom de la fille sera « Laurence », en écho à la soi-disant ressemblance du père avec l'acteur Laurence Olivier, un homme. Un prénom qui intègre le fantasme masculin du père, du grand-père aussi, du fils qui n'est pas là.
L'énonciation est singulière, dans le premier chapitre elle est à la deuxième personne du singulier, la narratrice s'adresse à elle-même, comme un alter égo. Des changements de procédés auront lieu dans le roman en modifiant la situation d'énonciation selon les périodes et les événements de sa vie. Tantôt elle parlera d'elle à la première personne, celle du sujet qui prend pleinement en charge la narration, parfois elle reviendra à la deuxième personne, elle utilisera aussi la troisième personne comme un narrateur externe aux événements tout en parlant d'elle.
Plus tard, dans son enfance, à 4 ans, surgit un événement marquant, une troisième fille meurt à la naissance, encore une fille, mais celle-ci s'en va trop tôt comme si le désir du fils l'avait emporté. Laurence se sent alors délaissée par ses parents, sa mère surtout, elle vit dans l'ombre du cadavre. La culpabilité sera plus ou moins consciente chez la narratrice. Elle vit alors dans les yeux de sa grand-mère.
C'est une enfance douloureuse d'être née « fille » Sur une photo sa soeur et elle ont l'apparence de garçons ; elles sont en maillots de bain sans haut, les cheveux sont coupés courts, les épaules sont développées, elles posent à côté de leur père, on dirait trois garçons.
La suite du roman se poursuit dans cette dichotomie Masculin/Féminin ; à l'école on lui explique que le masculin l'emporte sur le féminin, au catéchisme à 15 ans, elle apprend qu'Eve est née de la cote d'Adam, elle répliquera avec humour qu'il fallait bien un brouillon, la narratrice essaye de se débrouiller avec le poids du masculin.
Elle revendiquera fortement sa féminité et s'attachera à mettre en avant l'identité féminine tout en questionnant le masculin. Elle raconte une construction et une douloureuse quête d'identité féminine. C'est un livre résolument féministe sans excès. Les hommes auront une place dans sa vie.
Dans les chapitres suivants, elle raconte plus concrètement les choses, son enfance, sa jeunesse et son rôle de mère ; les souvenirs de vacances avec ses bonheurs et ses malheurs ; ses premières vacances en famille, puis à la campagne chez ses grands-parents où elle subit l'inceste à 10 ans, son grand-oncle l'agresse, sa famille lui recommande de se taire et de ne pas en parler à son père qui est pourtant médecin. On voit encore la domination de la muflerie, le machisme, le masculin. Elle racontera aussi son goût pour la lecture et le savoir, le jeu avec sa poupée, sa précocité intellectuelle, ses amitiés, la jalousie et le mépris de la grande soeur, la découverte du « zizi » des garçons sur lequel l'écriture s'attarde. Quand elle découvre l'origine du mot sexe dont l'origine est « Secare » qui signifie couper, elle s'interroge alors sur la coupure originelle, une fille est alors un avatar du garçon, elle n'existe pas en tant que telle, elle dira : « Une fille c'est un garçon blessé » quelque chose manque à la fille, la complétude sexuelle n'existe pas.
Plus tard, elle évoque aussi ses premiers émois et ses amours d'adolescence, la découverte de la sexualité, elle relate aussi la douloureuse expérience de son premier IVG.
En fin de livre, elle évoque sa vie de mère et la perte douloureuse d'un enfant, la trahison de son père en lien avec cet épisode. Son bonheur d'être à nouveau mère mais avec les angoisses qui l'accompagnent notamment sur la destinée sexuelle de sa fille.
En début de roman, on lit, « une fille c'est bien aussi » en référence au masculin la fille est inférieure au garçon, on lira cette même phrase en toute fin de roman, en référence à la sexualité féminine assumée, me semble-t-il.
Le récit de Camille Laurens est bouleversant, il peut faire écho chez les filles et les femmes qui ont fait l'expérience de ce mépris, ce déni de la féminité, des préjugés sur les filles et les femmes, sur la domination masculine.
Dans ce livre, l'écriture est inclusive, pourtant lorsqu'elle l'évoque auprès de son père, celui-ci, lui dira encore 60 ans après sa naissance : « L'écriture inclusive ? qu'est-ce que c'est que cette connerie ? …La femme est déjà incluse dans l'homme. »
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