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Critique de Matatoune


Voix de stentor mais cinquante deux centimètres. « C'est une fille! », « Ah, c'est bien aussi ! » le ton est donné par Camille Laurens.
Le roman plonge le lecteur dans la petite bourgeoisie de province d'avant 68, imprégnée de protestantisme, amoureux des règles et respectueux de l'ordre. A partir des quatre sens du mot fille, Camille laurens construit une fiction féministe autour de la vie de Laurence Barraqué, de sa naissance à sa vie adulte.
Le récit s'appuie sur le quotidien de son éducation qui subit le manque d'attention et de reconnaissance. Au fil du temps, cela destructeur par la dépréciation régulière qu'elles subit. Il ne s'agit pas de sévices physiques mais d'un abandon d'affection dans un milieu plutôt aisé. Laurence Barraqué est une fille qui grandit seule, sans amour, avec ces deux surnoms, odieux, donnés le premier par son père, « Gras du bide », et le second « Groc » pour « gros cul » donné par sa soeur aînée ce qui contraste avec la photo de couverture qui suggère une bien jolie petite fille sage.
Laurence Barraqué ne manque de rien sauf d'amour. La froideur du père exprime ses peurs, ses appréhensions et surtout sa misogynie. La figure maternelle est effacée au point qu'elle n'existe que par sa frivolité. Heureusement, deux autres femmes apportent d'autres aspects : de la soumission totale à la liberté et l'indépendance économique.

Laurence grandit entre carcans, liberté et contradictions. Et, même lorsqu'elle subit des attouchements, les femmes de sa famille lui disent « on lave toujours son linge sale en famille » .
Souvent drôle, le récit se fait décalé. Laurence se libère en découvrant la vie dans les livres. La scène où les filles se font expliquer ce qu'est un coït par un schéma fait par leur médecin de père pendant que la mère débarrasse la table est assez étonnante, surtout quand on sait que la jeune Laurence a déjà lu Sade et la grande reçu une foule de lettres de ses amoureux.
Les paroles de la chanson de Sylvie Vartan « Mais, je ne suis qu'une fille « retentissent comme le leitmotiv d'une époque. Avec son magazine préféré, la copine Jeanine rêve de gagner une journée dans la maison de son idole…le charmant Clo-Clo ! Tout y est, la plaquette de pilules prêtée à la cousine, l'avortement clandestin, etc.
Quand la femme redevient une enfant dominée, Barraqué se change en Charpentier. Elle se soumet sous la tutelle d'un mari absent encore remplacé par ce père, omniprésent, qui s'occupe de tout, même du plus intime : la naissance de l'enfant du couple.
Laurence est le portrait d'une femme qui n'accepte pas ses faiblesses car on lui a apprit qu'elles étaient inacceptables. Toute une vie de femme muselée, sans pouvoir extérioriser sa souffrance, ses doutes et dépasser les difficultés de la vie parce qu'elle se sent coupable d'être ce qu'elle est, seulement une fille. Sa conquête de sa liberté et de sa confiance l'amèneront vers une maturité plus épanouie.
Camille Laurens nous livre, peut-être encore, une autofiction. le prénom de son personnage peut le confirmer. En tout cas, c'est ce milieu des années cinquante qu'elle nous dévoile avec justesse où l'année 68 n'a pas fait sa transformation. de légers changements se remarquent mais rien de révolutionnaires.
Dès la quatrième de couverture, Camille Laurens triture les mots et les expressions pour relever le moindre détail de cette langue qui conserve la phallocratie de cette époque. le tutoiement employé pour décrire le combat de l'enfance et de la maturité s'associe au récit avec le pronom « elle » pour présenter un texte souvent magnifique par la magie et le talent littéraire de l'auteure.
Il faut se promener dans ce roman magnifiquement écrit pour comprendre l'évolution menée depuis quelques décennie. L'égalité est toujours à revendiquer mais les femmes ne souffrent plus de la marque infâme de leur sexe, du moins dans notre société occidentale. Même si, par sa recherche littéraire, Camille Laurens nous incite à être vigilant sur le langage employé.
https://vagabondageautourdesoi.com/2020/09/01/camille-laurens/
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