Que de chemin parcouru depuis le premier tome de son premier cycle… Ayant été particulièrement mitigé sur ce dernier, je ne m'attendais pas du tout à prendre autant plaisir au premier tome de son deuxième cycle.
Le cycle de "L'Empire Brisé" passait à la moulinette les codes du roman d'apprentissage dans une ambiance Dark Fantasy et post-apocalyptique de bon aloi à la "Hawkmoon" de
Michael Moorcock, qui en décontenancé plus d'un (avec ici un mélange entre références au christianisme et au paganisme germanique/scandinave, et avec ici aussi une inversion des situations, les gentils Vikings se faisant massacrer par les méchants Anglais ^^). Dans la même ambiance, le cycle de "La Reine Rouge" passe à la moulinette les codes du buddy movie et du road movie… ^^
Pourquoi un buddy movie ? ^^
Jalan Kendeth, 3e fils du 3e fils de la Reine Rouge, est ici un personnage comme l'américain GRR Martin les aime tant, c'est-à-dire arrogant et insouciant, cynique et narcissique, ne pensant qu'aux petits intérêts de sa petite personne…
Snorri ver Snagson, héros viking des Undoreth, est ici un personnage comme l'anglais
David Gemmell les aimait tant, c'est-à-dire fort, courageux, loyal envers les siens jusqu'à la mort et dépositaire d'un code moral avec lequel il ne transigera jamais…
On ne peut trouver personnages plus antinomiques, et pourtant ils vont devoir faire front commun et devoir compter l'un sur l'autre durant leur épopée. Et tout est raconté à la première personne du point de vue de Jalan, mais au final c'est l'histoire de Snorri qu'on nous raconte (ou plutôt que Snorri nous raconte lui-même à travers les yeux et les oreilles de Jalan) : le héros viking veut à tout prix rejoindre le Fort Noir dans le Grand Nord pour sauver les membres de sa famille qui sont encore en vie et se venger de Sven Briserame qui a tué les autres… Sauf que SPOILERS BIATCH !
Pourquoi un road movie ? ^^
Dans le film de Stanley Kramer "La Chaîne" / "The Defiant Ones" (1958), dans leur fuite vers la liberté
Tony Curtis et Sidney Poitier étaient constamment gênés par la chaîne de fer qui les reliait… Ici c'est la même chose, sauf que la chaîne d'acier est remplacée par un puissant sortilège qui oblige Jalan et Snorri à aller de l'avant, vers là où l'auteur veut les voir sévir… Ils vont devoir traverser une bonne partie de l'Europe dans leur quête de la barrière des glaces, pour accomplir le Maître Sortilège de la Soeur Silencieuse et abattre le lieutenant du Roi Mort, en passant par la Plaine du Pô, les Alpes, la vallée du Rhône, Paris, la Picardie, les Ardennes et la Ruhr avant de rejoindre Hambourg et de traverser la Mer Baltique et la Scandinavie…
J'ai passé un excellent moment d'aventures certes, mais aussi d'humour noir avec les vannes 1er degré de Snorri et les vannes 2e degré de Jalan. Leur duo fonctionne à merveille et nous régalent de tirade savoureuses sources d'une foultitude de réjouissantes citations. Et mention spéciale à ce moment où dans les Alpes Snorri se la joue Horatius Coclès au grand dam de Jalan :
"A chaque homme sur cette terre
La mort viendra tôt ou tard viendra.
Et il n'est sort plus enviable
Que de tomber devant l'ennemi nombreux,
Pour les cendres de nos ancêtres,
Les temples de nos dieux."
Et le côté queutard de Jalan va lui jouer bien des tours, avec frère Emmer la travestie, avec la veuve Katherine qui va lui ruiner l'entrejambe après qu'il lui ait mis la main au panier, ou avec la reine d'Ancrath qui bien qu'enceinte jusqu'au cou va le vamper pour l'inciter à défier une machine à tuer (ce qui en fait nous permet de revivre à travers les mésaventures de Jalan les événements les plus marquants du Prince écorché ^^).
J'ai aussi bien ri avec le détournement du "Magicien d'Oz", dans lequel nos héros suivent les traces laissés par un monstre légendaire dénommé « train » pour découvrir le repère de la Méchante Sorcière du Nord…
Toutefois à l'image de son premier cycle, il reste encore quelques défauts enquiquinants :
- la scène qui lance véritablement le récit est particulièrement mal fagotée
Déjà on glisse du présent au passé sans aucune transition, ce qui obligé à relire le passage pour savoir si on est dans le récit ou dans un flashback. Ensuite on laisse dans l'expectative de la tragédie de l'opéra : massacre gratuit et/ou sacrifices aux forces des ténèbres, règlement de compte politique, dommages collatéraux d'une guerre de l'ombre de vaste envergure ? Et pourquoi le sort s'acharne sur Jalan, puis sur Snorri alors que ni l'un ni l'autre n'en étaient la cible ? L'auteur par un grosse pirouette : la vieille bique avait tout prévu, elle savait qu'il fallait ainsi agir parce qu'elle avait vu l'avenir et qu'elle savait par avance la manière dont tout allait se terminer, Jalan et Snorri allant se débarrasser de son adversaire honni... Prédestination à la con, la béquille de prédilection des scénarii boiteux !
- les effets secondaires du maître sortilège de la Soeur Silencieuse sont mal amenés :
Avec les remarques sibylline de Jalan on reste dans le schwartz durant moult chapitres, et paf d'un coup il nous révèle qu'il est le vaisseau de l'ange Baraquel et que Snorri est le vaisseau de la diablesse Aslaung, fille de Loki et d'une démone-araignée… et qu'ils ne peuvent communiquer avec leur ange/démon gardien qu'à l'aube et au crépuscule... Sans que soit plus exploité que cela malgré le potentiel très "Supernatural" du truc (ceux qui connaisse la série télé me comprendront)
- l'échiquier géopolitique de cet univers est compétemment nébuleux…
Oui il y a alliance entre le Roi Mort et la Dame Bleue, et entre la Soeur Silencieuse et la Reine Rouge… Sauf que comme on ne sait rien des personnages, de leurs territoires, de leurs pouvoirs et leurs objectifs, donc difficile de remettre en place le schmilblick. Mais à la limite, c'est de la faute du narrateur vu que Jalan en a rien foutre de la politique.
- et puis d'autres trucs maladroits aussi…
Je me demande encore pourquoi on a teasé sur un inexistant lien de parenté entre la Soeur Silencieuse et la Sorcière du Nord… le passage dans le cirque monégasque est sympa malgré les révélations amenées abruptement par le télépathe Docteur Rhizome, suivi d'un scène d'action horrifique avec ce bébé mort-né se transformant en démon Expiré avant de se faire écraser par un(e) éléphant(e) monté(e) par une jolie écuyère… What The Fuck effectivement, mais c'est un des nombreux indices montrant que la triste histoire de Snorri est aussi également un détournement de la légende de Beowulf ! C'est même dommage que c'est aspect n'ait pas été plus creusé…
Tous ces bémols ne m'ont toutefois pas empêché de kiffer le final qui est un détournement horrifique du "Treizième guerrier" de
Michael Crichton pour le livre et de John McTiernan pour le film, où les Expendables / Douze Salopards affrontent plein de démons et de zombies : ouais, c'était bien cool !!! ^^
Le roman se suffit à lui-même, mais appel bien évidemment une suite puisque le Destin a remis la Clé de Loki, capable d'ouvrir les portes de l'Enfer et du Paradis, à un héros viking dépressif, voire suicidaire, qui ne souhaite que retrouver ceux et celles qu'il a perdus…
Et une pensée pour la sympathique traductrice
Claire Kreutzberger qui avait adoré travaillé sur le premier cycle de l'auteur, mais qui ici a dû se régaler en nous régalant ! blink