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Critique de Arthur409


Depuis plus de cinquante ans je passe au moins deux semaines de vacances en baie de Douarnenez : je ne pouvais pas manquer ce livre, biographie d'un personnage incontournable de la vie du port breton dans l'entre-deux guerres. Un grand merci donc aux éditions Goater et à Babelio pour m'avoir attribué ce livre en « Masse critique ».
L'ouvrage de Jean-Michel le Boulanger est une pure biographie, et non pas une biographie romancée. La qualité de ce type de livre dépend essentiellement de deux choses : l'intérêt suscité par le personnage en lui-même, et le talent du biographe quand il s'agit, au travers des éléments collectés dans son travail de recherche, de faire revivre ce personnage dans son contexte historique et de décrire la trace qu'il a pu laisser dans l'histoire locale ou nationale.
Parlons d'abord du personnage : d'origine très modeste, Daniel le Flanchec est avant tout un révolté qui a consacré sa vie à la défense des humbles et des défavorisés. Doué d'une éloquence hors du commun, cet infatigable militant qu'on situerait aujourd'hui à l'extrême gauche, et qu'on qualifierait d'insoumis avant la date, s'est mis au service de ses concitoyens les plus modestes, en particulier en étant maire de Douarnenez de 1924 à 1940. Tout d'abord proche des anarchistes, il pense trouver sa voie lors de la naissance de la IIIème Internationale, et devient un pilier du Parti Communiste en Bretagne. Mais peu à peu, son caractère farouchement rétif à toute discipline imposée par un parti pose quelques problèmes, et c'est comme une sorte d'électron libre, exclu du PC, qu'il effectue son dernier mandat de maire. Il s'est particulièrement illustré en soutenant en 1924 la grève des « Penn Sardin », les femmes employées dans les conserveries, et cela au péril de sa vie, puisqu'il fut la cible d'un attentat fomenté par des briseurs de grève.
« Il est maire. Il est proche de la population, aimé du peuple, chanté par les sardinières. Que demander de plus ? Pour se débrouiller, il se débrouille plutôt bien. Il garde au coeur toutes ses révoltes, reste antimilitariste et furieusement athée. Mais ses combats ne s'enracinent pas dans une idéologie qu'il maîtrise mal ou dans des stratégies d'appareil qu'il n'accepte que si elles le servent. Ses cris plongent dans sa vie, dans la misère des siens, dans les espérances enchaînées des prolétaires qu'il fréquente. »

Souvent qualifié de « grande gueule », en référence à son talent oratoire qui subjuguait le public et réduisait au silence ses adversaires dans les confrontations électorales, il se fit aussi quelques ennemis tenaces, qui n'hésitèrent pas à l'accuser de pratiques douteuses dans son mandat de maire. (Ce qui apparemment n'était peut-être pas totalement faux, par exemple dans sa manière d'attribuer des marchés publics sans appel d'offres…)
Ce fut un maire très dynamique, qui fit beaucoup pour le développement du port de pêche de Douarnenez. Cependant ses actions positives ont été en quelque sorte « gommées » par l'amitié qui le liait à Jacques Doriot qui, après avoir milité à un très haut niveau au Parti Communiste, vira totalement de bord et créa le Parti Populaire Français, qui collabora très activement avec les occupants nazis.
L'ouvrage de Jean-Michel le Boulanger est très minutieusement documenté, on pourrait même dire parfois trop, par exemple dans l'énoncé des résultats des votes successifs aux élections municipales. Mais il s'agit là d'un travail d'historien, qui pourrait servir de base à d'autres recherches. La bibliographie fournie par l'auteur est extrêmement riche dans de nombreux domaines de l'histoire de la Bretagne et de la France. Et surtout, dépassant le personnage de le Flanchec, l'auteur aborde une description détaillée de la vie politique de l'époque, et c'est très intéressant : j'ai appris beaucoup de choses sur l'évolution du milieu politique d'extrême gauche en France au début du XXème siècle, sur la naissance et l'internationalisation du Parti Communiste.
Il est aussi étonnant, pour les lecteurs d'aujourd'hui, d'apprendre par exemple que dans les années 1920 les réunions électorales n'étaient pas des meetings de soutien d'un candidat, mais des séances ouvertes à tous les orateurs qui le désiraient, d'où de mémorables empoignades verbales… et parfois physiques !! Autre sujet d'étonnement, le rôle de surveillance de la vie politique exercé par la police sur les militants de gauche, qui serait inconcevable de nos jours.
Enfin, dans les dernières pages du livre, l'auteur évoque de terribles règlements de comptes au sein même des groupes de déportés, ajoutant encore à l'horreur des camps de concentration nazis.
Non content d'exploiter des masses d'archives, Jean-Michel le Boulanger a recherché des témoins ayant connu Le Flanchec, et en particulier une femme ayant vécu de très près son arrestation et son envoi vers la déportation et la mort à Buchenwald. Ce dernier témoignage est traité avec beaucoup d'émotion et de pudeur.
En conclusion, nous avons une biographie riche et précise, établie avec beaucoup de soin, et qui a nécessité des années de travail. Elle intéressera les lecteurs du Finistère, bien sûr, et aussi les passionnés de l'histoire de la France entre les deux guerres.
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