AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de HordeDuContrevent


Une prose poétique en granit…

Une envie d'air iodé, d'odeur de goémon, d'iles bretonnes aux paysages sauvages et austères, de légendes celtes et de sortilèges ? Ce livre est pour vous. Paru en 1901, aux éditions Calmann-Levy et contenant trois nouvelles : « le sang de la sirène », « Fille de fraudeur » et « Les noces noires de Guernaham », l'écriture est surannée, poétique, enracinée, ancrée.

« Des troupeaux de nuées grises, aux pis lourds, se lèvent avec l'aube, des lointains de la mer. Et ce sont des journées tristes, humides, les jours sans lumière et sans vie des commencements d'hiver en Bretagne ».

La famille Morvac'h, sur l'île d'Ouessant, est une famille heureuse. Des champs au soleil, une barque solide sur la mer, des piles de linge dans les armoires et, entre les piles de linge, des piles d'écus accumulés par la sagesse des vieux parents. le couple dans la force de l'âge, c'est un homme, Jean, homardier, robuste et travailleur, et une femme économe et gaie, d'une beauté à couper le souffle, d'ailleurs tous les ouessantins adorent Marie-Ange, cette jeune femme lumineuse à la coiffe carrée, aussi gracieuse que son nom. le narrateur nouvellement arrivé sur l'île qui nous raconte cette histoire incroyable succombe lui aussi aussitôt à son charme si singulier.

« Elle sourit ; ses dents de nacre humide perlèrent comme des gouttes de rosée entre ses lèvres closes ».

Hélas une malédiction pèse sur cette famille issue de la douzième sirène qui a, en son temps, trahi le peuple de la mer. Ces douze vierges sont, dit-on, belles comme des anges mais perverses comme des démons ; leurs chants sont autant d'appels d'amour, propres à séduire le coeur des jeunes hommes. D'après la légende, un îlien en pêcha une dans ses filets. Cet homme était le plus fier et le plus beau des gars d'Ouessant.
Elle le fit roi de la mer, les vagues lui apportaient les poissons et les épaves, les vents et les courants lui obéissaient, mais la malédiction des sirènes fut implacable et se poursuit encore sur tous ses descendants.

L'écriture d'Anatole le Braz est magnifique ! C'est la voix surannée des contes et des légendes celtes, c'est le chant traditionnel s'élevant de la Bretagne profonde. C'est la voix poétique du fond des mers, celle des îles suspendues entre ciel et terre, celle des forêts ensorcelées ou des calvaires hantés...au-delà des paysages décrits, sublimes, j'ai particulièrement savouré les descriptions des personnages que fait l'auteur les rendant très attachants, profondément humains.

« Nous vîmes entrer un garçonnet joufflu, d'un rouge pourpre, à qui l'ample ciré d'homme dont il était enveloppé donnait l'aspect d'un Esquimau ou d'un Groenlandais, d'un nain difforme des régions polaires. Il se coula, se blottit contre le géant affalé. Dans son visage dru, aux teintes de chair saumurée, ses yeux bleus, étonnamment bleus, luisaient ainsi que deux flaques d'eau marine ».

Le récit d'Anatole le Braz est également un éloge fier et amoureux de sa région, qui lui permet par la même occasion de faire connaitre les us et coutumes bretonnes du début du 20ème siècle.

« Je vais quelque fois, l'après-midi, chez des conteuses qu'on m'a signalées. Des vieilles, pour la plupart, de manières accueillantes et fines. Elles m'offrent du lait fermenté, des galettes, me font asseoir en face de l'âtre, devant un feu de bouse desséchée qui brasille dans flamme et, tout en cardant de la laine, me débitent d'une voix douce, au bruit grinçant des peignes de fer, de lamentables récits, des histoires d'intersignes, de morts étranges, de naufrages, lugubres à faire frissonner ».

La malédiction s'abattra-t-elle sur Jean et Marie-Ange ? Je vous laisse le découvrir…surtout n'hésitez pas car c'est un beau livre. Les récits d'Anatole le Braz me font un peu penser à ces ciels bretons…Des ciels pommelés, étranges et saisissants, capitonnés de petits nuages blancs, très doux, et propices tout autant au silence et à la sérénité qu'à l'émerveillement…


Commenter  J’apprécie          8645



Ont apprécié cette critique (82)voir plus




{* *}