Une fois de plus, nous pourrions admirer le flottant, le vague délicieux de ces légendes celtiques, qui tantôt confèrent à Merlin l'immortalité amoureuse au giron de sa mie, et tantôt l'enfouissent comme un loup, au coin d'un champ, sous deux pierres brutes, débris d'un cromlec'h jeté bas pour empierrer le chemin.
Mais si le fossoyeur n'est que M. Poignand, archéologue diplômé par lui-même, auteur des "Antiquités historiques et monumentales", ... et principalement imaginaires ?
L'archéologie et l'anthropologie locales sont coutumières, on le sait, d'une grande sérénité dans l'affirmation.
Ledit Poignand ne s'en est pas tenu là : à une portée de fusil du tombeau de Merlin l'"archidruide", il a retrouvé le tombeau de "son épouse" Viviane ! ...
La fée Morgane, ou Morgan, ou Morgain, demi-soeur du preux roi Arthur, et merveille de beauté selon les uns, prodige de laideur selon d'autres, a aimé, a été trompée, en a gardé une rancune inexpiable au sexe qu'on dit fort. Et voici la vengeance de cette diabolique féministe: tous les amants qui ont été, ne fût-ce qu'en pensée, infidèles à leur amante, seront amenés en certain vallon d'où ils ne pourront plus s'échapper.Val des Faux Amants, Val périlleux, Val sans Retour, c'est sous trois noms un même purgatoire, qui risque bien d'être une autre vallée de Josaphat, aussi peuplée que doit l'être un jour la véritable.
Cependant, du fond de sa forêt, Merlin ma bien souvent fait des signes. Viviane y joignait ses sourires. Pourquoi n'y avoir pas mieux répondu? Ce n'est pas assurément que je craignisse leur magie. Ne craignais-je pas plutôt qu'elle fût inopérante? Si par malheur l'eau de leur fontaine avait oublié de bouillir et de rire? Si l'orage ne se déchaînait plus après l'aspersion du perron enchanté? Si Viviane et Morgane n'étaient réellement que des vieilles fées? S'il allait m'arriver ce qui était arrivé jadis à maître Wace, le plus réaliste des trouvères, qui, ne voulant pas se borner à ouïr, commit la faute de venir voir?