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Critique de clesbibliofeel


« On oubliera. Les voiles du deuil, comme des feuilles mortes, tomberont. L'image du soldat disparu s'effacera lentement dans le coeur consolé de ceux qu'il aimait tant... Et tous les morts mourront pour la deuxième fois » Roland Dorgelès
Cet exergue indique bien qu'Yveline le Grand ne se résout pas à l'oubli et nous incite, avec ce livre à la couverture lumineuse, à ne pas oublier.

P'tit Louis détonne dans cette famille de bûcherons travaillant le bois – coupe, sciage, écorçage – depuis des générations. Ce qu'il aime c'est réaliser des broderies avec sa grand-mère, il voudrait devenir tailleur d'habit ou brodeur. Son père ne l'entend pas ainsi et le traite de fainéant, de mauviette, de poltron. Il lui donne le choix entre travailler au bois avec lui ou bien partir définitivement de la maison. Pour prouver son courage et parce qu'il n'a pas pu se résoudre à ne plus revoir sa grand-mère, il s'engage dès le début de la guerre en août 1914. Il a vingt ans !

A partir de là le lecteur va réellement vivre le quotidien de la guerre, les blessures visibles et invisibles, les amitiés qui maintiennent l'espoir de vivre autre chose, après ce que certains soldats veulent voir comme « une parenthèse » dans leur existence. Léon Ollivier est l'ami plein de vie, il chante – on l'a surnommé Rossignol – et rêve un avenir de bonheur partagé avec Suzie qui l'attend là-bas en Bretagne pour se marier.

Roman historique et roman d'action, inspiré de faits réels, La parenthèse montre au lecteur ce qu'aucun livre d'histoire ne peut montrer, sur des aspects peu relatés du conflit. En passant par la fiction Yveline le Grand nous touche à chaque page sans forcer sur l'horreur de la grande boucherie qui serait simplement repoussante. le lecteur est immédiatement au côté de ce gamin à qui on a donné un fusil, une baïonnette, des grenades..., qui ne mange pas souvent à sa faim, dans le froid et la peur... avec la gnôle distribuée largement, refusée au départ avant de faire avec pour se réchauffer de la mort environnante.

J'ai vu des expositions lors du centenaire commémoré entre 2014 et 2018. Les lettres de poilus ont été recherchées, montrées, lues à la radio. L'autrice historienne y a participé mais ce livre est encore un cran plus fort pour appréhender une réalité qui nous échappe facilement, le temps effaçant tout sur son passage. Après cette guerre, beaucoup ont dit « plus jamais ça », et plus on oublie petit à petit. Ce livre, très bien conçu, vient nous rappeler les souffrances endurées par ces jeunes, la peur, les blessures, les traumatismes psychiques irrémédiables.

C'est très bien écrit, avec l'apparence de la simplicité des écrivains qui savent où ils vont, et juste ce qu'il faut pour concevoir la dureté du quotidien de ces jeunes gens, mais aussi la réalité des amitiés fortes et les solidarités.
Yveline le Grand utilise les mots de l'époque – fusant, shrapnel, marmite, crapouillot, fourneau de mine, torpille, percutant, artiflot, sape –, des expressions d'alors, l'argot aussi, prouvant qu'il ne suffit pas de mettre des noms sur un monument aux morts sur une place, la lecture de ce récit permettant de redonner une humanité à ces combattants et quelque part, par la mémoire de ces années atroces, pouvant nous inciter à oeuvrer à la concorde entre les peuples.

Jamais je n'avais aussi bien visualisé l'organisation (si l'on peut dire...) des tranchées, l'attente des assauts. On traverse ainsi, en compagnie de P'tit Louis, les quatre années de guerre puis l'impossible retour à la vie civile.

Les titres des chapitres plantent le décor (j'ai ajouté entre parenthèse les lieux indiqués dans le livre, là où ont eu lieu les combats les plus meurtriers) : 1. La retraite, fin août 1914 (les rives de la Sambre) ; 2. La convalescence ; 3. En Argonne, juillet 1915 (arrivée en gare de Sainte Ménehould, la forêt d'Argonne va constituer une zone de combats féroces entre les deux zones majeures que sont à l'ouest la Champagne et à l'est Verdun) ; 4. le front, été 1915 ; 5. le temps des relèves, automne-hiver 1915-16 ; 6. Verdun 1916 (fort de Fromeréville au pied des hauteurs de Mort-Homme, caserne d'Anthouard, fort de Thiaumont) ; 7. La nouvelle escouade, 1917 (de Melun à la Somme à pied) ; 8. Vers l'Allemagne, 1918 ; 9. le retour en France, automne 1918 ; 10. La vie civile, automne 1921.

Yvelyne le Grand est historienne, docteur en archéologie. Ce roman est l'ultime étape d'un projet consacré à 14-18 : qui a compté une exposition à partir de documents originaux et un ouvrage « Des bretons dans la Grande Guerre. Les 89 soldats de Quéménéven morts pour la France » paru en 2015, retraçant le parcours de ces soldats du Finistère dans le contexte de la Grande Guerre. Autant dire que « La parenthèse » est un récit parfaitement documenté.

L'autrice a su trouver le ton juste, c'est un livre que je conseille. La lecture est édifiante et suscite toute une riche palette d'émotions. Merci à L Harmattan pour cette belle découverte permettant d'appréhender le vécu d'un soldat de vingt ans pendant la guerre 14-18 tout en lisant une oeuvre de fiction très plaisante.
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Visitez mon site Bibliofeel afin de compléter cette lecture avec une photocomposition personnelle à partir de la couverture du livre, et un accompagnement musical lumineux du vibraphoniste Milt Jackson interprétant le sublime thème « Moon Ray », en contraste total avec une des périodes les plus sombres de notre Histoire !

Lien : https://clesbibliofeel.blog
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