Je n'ai plus le désir de lire. Le paysage me captive avec ses peupliers levés comme des mâts dans la brume, ses marécages, ses prairies inondées, tous ces rameaux morts du fleuve qui doit glisser là-bas, derrière les bancs de brouillard doré, un paysage d'eaux dormantes et hautes où revient sans cesse la ponctuation de barques noires, très plates, au bout carré. -...- Elles sont un élément du décor, un aliment pour le songe. On en oublie la réalité de l'environnement, l'écoulement heurté du train. Chaloupes des contrées aquatiques et des fêtes du Grand Meaulnes. Royauté des aulnes et des rêveries de l'eau.
Il ne veut pas éblouir. Il rappelle. Il témoigne. Il constate. Il parle avec aménité, avec chaleur, mais les ressorts de la séduction verbale lui sont totalement étrangers. Il n'a rien d'un orateur, d'un causeur mondain. Il parle avec beaucoup de simplicité, sans démonstration oratoire et physique, tassé dans son fauteuil sous le portrait de Bellmer. La voix est sourde, neutre mais le propos ne l'est jamais.
La méditation, la pratique de la rêverie éveillée, l'écriture dans ses distillations et ses détours mènent à une forme discrète et silencieuse de sagesse. (p.46)
Quelle est cette force qui fait écrire? L'espace, la mémoire, le désir? De ces puissances, celle qui chez lui aura été indéniablement la plus présente, c'est l'espace. Arpenteur, pérégrin, cartographe, menant le repérage jusqu'à dire le grain, le feuilleté, l'essence des limons et des roches – l'esprit des lieux.
Ses gestes m'ont rappelé ceux de tous ceux que j'ai vu vieillir, l'attention maniaque à tout ce qu'on doit fermer, l'observation du thermomètre, le souci du temps qu'il fait. Ces riens, ces moments nuls tissent immanquablement la vie du vieil homme. (p.85)
Il faut avoir été fracassé pour écrire. (p.69)
Il semble bien que les mouvements collectifs ont vécu. Comment, d'ailleurs, imaginer des mouvements à un moment où la société se désagrège et s'éparpille dans la contemplation solitaire des images? (p.29)
Les arts, par un jeu de connexions souterraines, se tiennent la main et il y en a toujours un, dominant, vers lequel le public se jette massivement parce qu'il y trouve satisfaction. Au XVIIIè le théâtre, aujourd'hui l'image. (p.28)