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Critique de Nastasia-B


J'ai adoré...
... terminer ce livre et le refermer définitivement. Alors, oui, je sais, je sais, ce livre jouit d'un capital d'estime important, très important. Plusieurs personnes que j'apprécie beaucoup m'en ont fait grand cas et me l'ont vendu au prix fort, prétextant de la qualité, de l'originalité et de tout un tas d'autres choses, d'où le fait que je m'y plonge.

Mais voilà, les faits sont têtus et les sensations aussi. On a beau me dire qu'un parfum sent très bon, si je ne l'aime pas, je ne l'aime pas, un point c'est tout. D'autres l'aiment, très certainement, mais moi pas. Eh bien c'est un peu ça avec La Main gauche de la nuit.

Bien sûr j'aurais pu vous jouer le coup de la main gauche de l'ennui, mais j'ai déjà usé la formule avec le bouquin de Delphine de Vigan. J'avais aussi en tête le titre d'un vieux film avec Paul Newman , incarnant le personnage de Luke, un gars qui foire à peu près tout ce qu'il touche. Mais non, je vais essayer de me borner à vous restituer très exactement le POURQUOI ? je ne l'aime pas.

Première carence pour que j'apprécie ce roman, le manque d'empathie vis-à-vis des deux personnages principaux (les autres je n'en parle même pas, tant ils sont insignifiants). Rien, zéro, nada, empathogramme plat de bout en bout, qu'il pleuve, qu'il vente, qu'il neige, qu'ils souffrent, qu'ils geignent, qu'ils crèvent, je m'en fous éperdument car je ne ressens rien pour eux, ou disons, pour être précise, à peu près autant que pour chacun des insectes qui périssent éclatés sur mon pare-brise ou mon pare-choc lorsque je fais de la route.

C'est un problème, vous admettrez. L'art du roman, c'est l'art de nous faire nous glisser dans la peau des personnages, de vivre, de ressentir, de vibrer, de palpiter avec eux, et là, bah... guère plus qu'une mue de serpent abandonnée sur le bas côté. Il y a donc un certain Genly Aï (oui, aïe, en effet), émissaire d'un certain groupement de planètes ou de système, l'Ekumen, genre de gros amas fourre-tout vis-à-vis duquel l'usine à gaz de l'union européenne fait figure de haute limpidité.

Ce Genly Aï, donc, que les naturels de Gethen n'arrivent pas à prononcer autrement que Genry Aï, se pose un beau matin sur le territoire de la Karhaïde, royaume voisin de la commensalité d'Orgoreyn, deux des principales entités politiques de Gethen.

Vous voyez, je vous ai juste dit que Trucmuche se pose sur la planète Bidule et je vous ai déjà saoulé avec des tas de noms à la con, qui n'évoquent rien. Eh bien voici très exactement le deuxième gros problème en ce qui me concerne pour espérer ne serait-ce qu'une once d'adhésion à la recette romanesque.

L'auteure multiplie les noms barbares complètement creux, qui ne font, toujours selon moi, qu'éloigner le lecteur de l'histoire et du propos. C'est-à-peu près aussi intéressant à lire, pour moi, qu'un rapport médical de radiologue, qui vous explique que le valgus dysphasique de la plèvre du condyle externe se contracte au contact de l'épiphyse nodulaire tétra-ionique interne.

Vous trouvez que j'exagère ? Okay, des exemples. J'ouvre mon livre au hasard, je tombe page 161 de mon édition (on est au chapitre 11, à peu près au milieu du livre) : " Odgetheny Susmy " (ça c'est juste pour vous donner la date dans le journal d'Estraven, le second protagoniste important), " j'allais entrer en kemma le jour de Pothe ou de Tormenbod ". Vous voyez le genre ? Qu'est-ce que ça m'ennuie ce procédé, quelle inappétence cela développe, pour ne pas parler de rejet total.

Troisième point d'affliction, le rythme. C'est lent, lent, très, très lent. Un duel de limaces à la course, ça doit avoir quelque chose de plus intense et de plus captivant, je trouve. On se fait ch... euh, JE m'y fais ch... euh, non, c'est grossier, excusez-moi, je m'y endors, voulais-je écrire. Je me suis sentie constamment engluée dans de la mélasse, et ça n'avance pas, et ça n'avance pas, et de moins en moins au fil du roman. Quand arrive la dernière page, ouf ! la délivrance.

Quatrième point, la construction, l'équilibre des parties. Dans un premier temps, on suit l'émissaire dans ses tractations politiques difficiles avec les différents gouvernements, puis, à un moment, on ne sait pas trop pourquoi, il décide d'aller faire une espèce de voyage ethnographique auprès d'un groupe de devins professionnels, sortes de derviches voyeurs. Puis il repart, ça ne se goupille pas trop bien, puis... changement total, le roman bascule en expédition polaire.

On se dit que ce périple extrême ne va durer qu'un temps, qu'on va retrouver le cours de la narration et des tractations politiques, mais non, non, non vous allez en bouffer de l'expédition polaire, jusqu'à l'écoeurement, jusqu'à ce que vous soyez aussi épuisés en tant que lecteurs que les autres en tant qu'aventuriers des glaces. Enfin, un micro finale avorté qui ne tient aucune de ses pseudo-promesses du début. Bon bah...

Cinquième gravier sous la porte, le problème de l'imagination. Pourquoi diable Ursula le Guin est-elle allée nous assommer avec des planètes extraterrestres, des personnages bizarres et des mondes soit-disant imaginaires à deux balles, si c'est uniquement pour nous rejouer la planète Terre ? Sur Gethen, il y a une lune, qu'on voit la nuit, il y a la mer, qui est salée, il y a des créatures extraterrestres mais qui sont tellement humaines que c'en est affligeant, il y a des glaciers et des précipitations d'eau, qui ressemblent trait pour trait aux homologues de notre planète. Il y a des arbres aussi, et hormis le fait qu'ils possèdent des noms bizarres, ce sont des arbres, rien que des arbres, c'est-à-dire une forme typiquement terrestre du vivant.

Tu sais quoi Ursula ? Dans un millilitre d'eau croupie observée à la loupe binoculaire ou au microscope il y a plus d'imagination et d'exotisme surprenant que dans tout ton machin pseudo imaginatif et extraterrestre mais qui est tellement terrestre que je peux t'affirmer que tu as perdu ton temps. Quant au calendrier (dont je n'ai vu qu'à la fin qu'il y avait un mémento), les révolutionnaires français avaient déjà fait le boulot, pas la peine de réinventer un calendrier qui ne sert à rien.

Au passage je signale que sur cette planète incroyablement imaginative il y a bien entendu quatre saisons, or on sait que c'est typique de la Terre en particulier, eu égard à son inclinaison sur son axe, mais passons, c'est de la littérature de l'imaginaire, il paraît. Si vous lisez La Vie est belle de Stephen Jay Gould, qui ne parle que d'êtres vivants ayant réellement existé sur Terre aux époques géologiques, vous vivrez un dépaysement dix mille fois plus total qu'avec cette espèce de fiction soit-disant " imaginaire ".

Sixième point faible : le propos. J'en lis des tonnes, sur le soit-disant " propos " qui serait hyper osé, hyper novateur, hyper puissant, hyper tout. Moi je dirais hyper creux. Alors voilà, les habitants de la Karhaïde sont hermaphrodites. C'est hyper nouveau comme concept, n'est-ce pas, car je vous rappelle que le terme même d'hermaphrodite est une concaténation des dieux Hermès et Aphrodite, et qu'il date donc de... la Grèce antique ! Ah oui, c'est nouveau, effectivement.

Et cet hermaphrodisme, là encore, je crois qu'il est plus intéressant chez les limaces déjà citées que dans ce livre. En effet, l'auteure nous explique que ces hermaphrodites ne sont pas réceptifs sexuellement une bonne partie du temps, mais qu'ils entrent en " kemma " périodiquement de manière prévisible et cyclique. Là, ils sont prêts à sauter sur n'importe qui ou quoi. On comprend alors que la vision de l'auteure sur l'hermaphrodisme est plus ou moins celle d'un cycle menstruel, tout ça pour ça. Lisez, je vous dis, une documentation sur l'hermaphrodisme des limaces, c'est plus étrange et plus intéressant comme processus. Où mieux encore, allez voir comment se reproduisent les crépidules (Crepidula fornicata — ça ne s'invente pas !) de nos bords de mer, c'est plus amusant et contre intuitif ou encore l'acquisition du sexe chez les alligators, tellement plus surprenante.

On sait que les parents d'Ursula K. Le Guin étaient d'éminents anthropologues (le K. fait référence à son nom de jeune fille Kroeber, si vous souhaitez consulter les travaux de ses parents). Et elle a sans doute voulu faire une sorte " d'expérience anthropologique extraterrestre ". Là encore, lisez d'authentiques livres d'anthropologie, par exemple ceux de ses parents, et vous serez mille fois plus intrigués, intéressés, remis en question que par la lecture de cette farce creuse.

Il y aurait aussi un soit-disant propos pro-homosexuel, trans-genre ou je ne sais quoi. Moi, personnellement, je ne l'ai pas vu, pas senti, pas compris, donc, pas retenu. En somme, de tout ceci, pour moi et avec ma sensibilité, avec les espoirs et les attentes que j'avais en entamant la lecture de ce bouquin, demeure une immense grosse et large déception. Vite, vite au suivant. Ceci dit, gardez à l'esprit que ce que j'exprime ici n'est que la main gauche de l'avis, c'est-à-dire pas grand-chose. Allez voir à droite si le coeur vous en dit, moi je n'aime pas la droite...
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