Le média n'est pas le message

Vingt ans d'un travail de méticuleuse description anatomique par trois paléontologues anglais et irlandais — qui n'ont pas eu, en s'y attaquant, le moindre soupçon de sa portée révolutionnaire — ont […] mis en question nos conceptions traditionnelles sur le progrès et la prédictibilité dans l'histoire de la vie, pour faire face à une notion bien connue des historiens : la contingence ; de sorte que l'on est obligé à présent de regarder l'imposant spectacle de l'évolution de la vie comme un ensemble d'événements extraordinairement improbables, parfaitement logiques en rétrospective et susceptibles d'être rigoureusement expliqués, mais absolument impossibles à prédire et tout à fait non reproductibles. Si l'on pouvait rembobiner le film de l'évolution de la vie jusqu'à ses débuts à l'époque du Schiste de Burgess, et recommencer son déroulement à partir d'un même point de départ, il y aurait bien peu de chance pour que quelque chose de semblable à l'intelligence humaine vienne agrémenter la nouvelle version de l'histoire.
En tant qu'admirateur inconditionnel, dans mon enfance, d'Andy le panda et ex-propriétaire d'un jouet en peluche gagné à une kermesse locale un jour où, par chance, j'avais renversé toutes les bouteilles d'un seul coup, je ne me tins plus de joie lorsque les premiers signes de notre dégel avec la Chine se concrétisèrent, au-delà du ping-pong, par l'envoi de deux pandas au zoo de Washington.
Je suis, de toute façon, moins intéressé par la taille et les circonvolutions du cerveau d'Einstein que par la quasi-certitude que des individus d'un talent égal ont vécu et sont morts dans les champs de coton et dans les mines.

LA " MARCHE DE L'IVROGNE " : Un homme sort d'un bar complètement saoul et titube sur le trottoir, entre le mur du bar et le caniveau. S'il atteint le caniveau, il s'écroule ivre mort et le jeu s'arrête. Supposons que le trottoir ait trois mètres de large et que notre ivrogne marche au hasard, avec un pas moyen de cinquante centimètres, en avant ou en arrière. [...]
Où va-t-il aboutir si on le laisse tituber suffisamment longtemps ? Dans le caniveau, inéluctablement, et pour la raison suivante : chaque pas, en avant ou en arrière, a une probabilité égale de 1/2. Le mur du bar constitue un " barrière infranchissable ". [...] Autrement dit, son mouvement ne peut se développer que dans une seule direction : vers le caniveau. [...]
J'ai exhumé ce vieil exemple pour illustrer un point capital : [...] L'ivrogne tombe à chaque fois dans le caniveau, mais son mouvement ne témoigne d'aucune tendance à cette forme de perdition. D'une manière similaire, une mesure moyenne ou extrême de la vie peut progresser dans une direction donnée même si aucun avantage évolutif ou aucune tendance intrinsèque ne favorise ce mouvement.
On ne peut pas juger un individu par rapport à la moyenne de son groupe.
Je n’ai jamais pu lui faire comprendre que les diplômes supérieurs [...] ne garantissaient pas le niveau élevé de la sagesse, et qu’en définitive il n’y avait rien de mieux que la lecture soigneuse, selon la mode ancienne. [...] Il avait, en effet, les bases nécessaires en matière d’intelligence et de connaissance du jargon technique ; et il possédait, en outre et en abondance, deux choses rarement rencontrées chez les universitaires en activité : du temps pour lire soigneusement et une absence de préjugés qui déforment.
Toutes les sciences ont contribué à mettre en doute l'idée suivant laquelle l'homme aurait une importance cosmique. L'astronomie a montré que nous occupons une petite planète, à la frontière d'une galaxie de taille moyenne, parmi des millions d'autres. La biologie nous a retiré notre statut d'exception aux lois de la nature, créée à l'image de Dieu. La géologie, elle, nous a donné l'immensité du temps et nous a appris que notre espèce n'en avait occupé qu'une part dérisoire.
J'espère que personne ne tenterait de nos jours de classer les races et les sexes par la taille moyenne des cerveaux. Mais la fascination qu'exerce sur nous la base physique de l'intelligence est toujours aussi vive et l'espoir naïf demeure dans certains milieux que la taille ou quelque autre caractéristique extérieure dépourvue d'ambiguïté puisse traduire cette complexité interne. Cette doctrine liant quantité et qualité est toujours en nous sous sa forme la plus grossière consistant à utiliser une quantité aisément mesurable pour évaluer abusivement une qualité beaucoup plus complexe et difficile à saisir. Cette méthode, que certains hommes emploient pour estimer la valeur de leur pénis ou de leur automobile, est toujours utilisée pour le cerveau.
Lorsque j'avais quatre ans je voulais être éboueur. J'aimais le bruit des poubelles qui s'entrechoquaient et le vrombissement du compresseur ; je pensais que toutes les poubelles de New York pouvaient tenir dans un seul gros camion-benne. Puis, à l'âge de cinq ans, mon père m'emmena voit le tyrannosaure au Muséum américain d'histoire naturelle. Alors que nous nous trouvions devant le dinosaure, un homme éternua ; la gorge serrée, je m'apprêtais à prononcer la prière des derniers instants, le Shema Yisrael. Mais le grand animal ne broncha pas, impavide dans sa noblesse osseuse, et à la sortie du musée, je déclarai tout de go que quand je serais grand, je serais paléontologue.

Dans une autre étude, Terman a rassemblé un échantillon de 256 « vagabonds et chômeurs », provenant d'un centre d'accueil pour sans-logis de Palo Alto. Il s'attendait à ce que leur Q.I. fût le plus bas de toute sa liste [des différentes professions] ; cependant, bien que la moyenne de 89 obtenue par les clochards ne témoignât pas de dons prodigieux, elle plaçait tout de même ceux-ci au dessus des conducteurs de tramway, des vendeuses, des pompiers et des policiers. Pour venir à bout de cette situation gênante, Terman présenta son tableau de résultats de manière curieuse. La moyenne des clochards était désespérément élevée, mais, au sein de celle-ci, on enregistrait aussi des variations plus importantes que dans aucun autre groupe et on y trouvait un bon nombre de notes assez basses. Terman fit donc figurer sur son tableau les notes de 25% les plus faibles de chaque groupe, ce qui eut pour effet de faire redescendre les vagabonds dans les bas-fonds.