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Critique de Lesaloes


Polyphonies du vingtième siècle

« Mon frère Franz aurait pu répéter des mois entiers, des années, il aurait pu se tuer à la tâche, cela n'aurait pas suffi à lui donner l'once de génie qui fait pousser de nouveaux mondes.
Après la leçon [de Vladimir Horowitz], Franz sombra. »
Bruno le Maire, Fugue américaine, éd. Gallimard, 2023, p. 181

Avec en bruit / musique de fond, le tumulte amorti d'un siècle barbare et inhumain, le vingtième, dans ses plus terribles épisodes (1930-1965), grands cimetières sous la lune, Seconde Guerre mondiale, 50 millions de victimes, génocides à l'échelle industrielle et massacres des innocents, épurations et goulags, l'auteur porte la difficile ambition de mêler à la grande Histoire, qui s'impose aux hommes et les broie, la petite saga des Wertheimer, Juifs errants fuyant la folie nazie pour trouver refuge aux Etats-Unis et s'y établir. Défi qu'il partage avec nombre d'écrivains, difficile à relever et à maîtriser.
Le roman prend la forme d'un récit rédigé par Oskar Wertheimer sur cette période charnière du monde occidental avec le thème de la dérive de Franz, frère aîné admiré, brillant pianiste qui se destinait à une carrière artistique. Sauf qu'en décembre 1949 à La Havane, après un concert de Vladimir Horowitz, il eut la révélation de son insuffisance face au génie virtuose du maître : « L'abandon de sa carrière de pianiste n'était rien de plus qu'un pansement à arracher. Cela ferait mal sur le coup ; puis il oublierait. Au pire, il en garderait une cicatrice ».
Suivra l'histoire de sa déchéance, de son sentiment d'échec qui le mèneront au suicide, coïncidant avec l'assassinat du président John Kennedy. Avec en contrepoint, le triomphe des géants de la musique, celui en miroir d'un Horowitz, l'autre héros du roman, des Richter, Rubinstein ou du grand maestro Toscanini, sûrs de leur maîtrise de la liberté de leur jeu et de leur sensibilité.
Gravite autour de lui tout le cortège d'une galerie de personnages, dont Muriel, sa femme, une française, qui le méprise pour son échec, « un tocard » qu'elle ruinera par sa folie des grandeurs et son souci du paraître. « Elle continuait ses salamalecs sous-marins dans cette salle trop basse de plafond. Au milieu de son visage ruisselant de fard, sa bouche accomplissait des mouvements de dilatation et de contraction comme une anémone de mer effleurée par les courants. Quel plancton verbal pouvait-elle avaler avec autant d'avidité ? »
Bruno le Maire réussit certes son pari. Mais comme tout bon romancier, il aurait dû se résoudre à élaguer son texte de longues digressions inutiles pour donner à l'intrigue plus de vivacité et de nerf. le même reproche que nous avions opposé au romancier qu'il admire, Michel Houellebecq pour son dernier Anéantir (janvier 2022) à demi raté, boursouflé, à la limite de l'amateurisme, désinvolte envers ses lecteurs. Dont l'un des héros était un certain monsieur Juge, Bruno le Maire lui-même !
Quant aux scènes de sexe qu'on a pu lui reprocher : rien d'exceptionnel dans ce qui est ici décrit, la pulsion sexuelle en rien honteuse fait partie intégrante de la nature humaine ; en outre des passages bien innocents comparés aux scènes autrement scabreuses du même Houellebecq et autres romanciers célèbres. En bref un mauvais procès.
Un roman à conseiller avec réserves pour qui aime l'intrication de la grande Histoire dans le roman psychologique à la française et la reconstitution nostalgique d'une époque ressuscitée par Bruno le Maire, imprégnée du sentiment de notre inéluctable finitude.
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