Citations sur La mort du taxidermiste (30)
Avant d'affronter l'après, le moment où il faudra vivre sans lui [l'être cher disparu], chacun garde jalousement un peu d'intimité partagée. S'accrocher au passé permet sans doute de donner un sens au parcours de celui qui vient de franchir les portes de l'éternité. Peut-être pourra-t-on ainsi, en puisant dans le trésor des réminiscences qui nous traversent en désordre, supporter provisoirement l'inacceptable séparation. (p. 127)
Quand la vie suspend son vol, la vérité sur le passage ici-bas de celui qui s'est éteint devient brusquement une nécessité. Dans la chambre où l'être cher a poussé son dernier soupir, un mélange de chagrin et de douceur envahit l'espace, le temps s'arrête. (p. 127)
Il en va des maisons comme des personnes. Un jour commence le lent effacement. (...)
Le magnétisme des lieux a disparu. Ce qui était jusqu'alors un refuge dont on pensait ne pouvoir se passer revient à sa condition de maison, une parmi d'autres. La porte ne s'ouvre plus sur un visage familier, le temps a passé, il faut chercher ailleurs la consolation ou être capable de s'en passer. (p. 143)
(...) elle sait que son amour pour Loïc est intact, mais elle se défend d'y penser trop souvent car se retrouver encore des années plus tard, dépositaire d'un sentiment mis sous cloche est une souffrance. (p. 84)
Il est des lieux qui imposent d'emblée, par leur magnétisme, une forme de narration. (...)
On n'a déjà plus l'âge de croire aux miracles, on sait que rien ne dure, ni la félicité, ni le mal-être, pour peu que l'on soit capable de regarder la vie en face. On ne cherche pas à être sauvé, simplement lavé d'une tristesse ou d'un engourdissement passagers. Ou bien, si la souffrance est nettement identifiée, on vient seulement chercher un peu de force pour repartir vers la vie ordinaire avec le courage d'affronter ce qui doit l'être. (p. 63)
Ce qu'Antoine ne mesurait pas, c'est à quel point la distance protégeait sa soeur, éloignait la peur de la disparition de leur père. (p. 66)
Marianne sait que les gestes quotidiens communs à tout le monde l'apaisent. Cette monotonie est peut-être le baume qu'elle est venue chercher. Certains soirs, pourtant, elle donnerait tout pour entendre quelqu'un frapper à sa porte, entrer et la serrer dans ses bras. (p. 29)
Marianne ne se rendort pas, autant monter sur le pont et guetter l'instant où l'île apparaîtra, l'horizon s'ouvrant pour la baigner de sa première lumière. En arrivant par la mer, elle accorde à ce regard initial une importance capitale. Il conditionne à lui seul la façon dont elle posera le pied sur le sol insulaire. (p. 13)
La Corse en elle, ce n'est rien de construit, des fragments qui l'habitent et lui permettent d'être elle-même. Cela la tient debout, souvent;
Marianne a une approche topographique de l'univers. Où qu'elle soit, c'est d'abord sa place dans l'espace qu'elle repère avant de pouvoir agir. (p. 19)
Il n'y a que sur cette île [ La Corse] qu'elle puisse trouver une façon d'être qui soit la sienne. Il ne s'agit pas de s'approprier le rôle de ses aïeules, la manière dont elles façonnèrent leur identité, mais leur présence tutélaire la guidera. Ici, elle peut s'inscrire dans une lignée qui murmure à son oreille une féminité qui lui convient. La Corse lui a été transmise. Si elle ne l'a pas choisie, du moins l'a-t-elle acceptée. A elle d'en faire une force plutôt qu'un fardeau. (p. 14)