L’honneur, c’est comme les dieux : des mots creux au nom desquels on se permet de commettre les pires atrocités.
Les plus vertigineux gratte-ciel n’étaient jamais que des repères d’usuriers et de receleurs.
Un jardin japonais apparut alors devant les yeux médusés de Gutxi. Sur un sol de galets ronds et de dalles plates reposait un petit bassin en granit aux bords recouverts de mousse. Une fausse source jaillissait depuis le creux d’un tronc de bambou jusqu’à une lourde vasque. L’eau s’y écoulait lentement dans un doux bruissement propice à la méditation.
Revenir là où tout avait commencé, juste avant que tout s’emballe et dérape. Revenir aux temps heureux, à l’extase continuelle que le Japon lui avait procurée. Bien sûr, Gutxi était conscient qu’il serait seul. Mais ne l’avait-il pas été quasiment toute sa vie ?
Son retour au Japon s’était fait naturellement, comme une évidence. Il n’avait pas eu à réfléchir longtemps à ce qu’il allait faire de sa liberté nouvelle. Tout d’abord, quitter l’Argentine, synonyme de prison pour Gutxi. S’éloigner de cette vie qu’il n’avait pas voulue, avec l’urgence d’effacer les années d’exil et d’humiliation.
Le contexte lui remettait en mémoire les mots aux sonorités oubliées.
Dès son arrivée à Narita, il retrouva une atmosphère familière, des sons, une ambiance qui ne semblait pas avoir changé depuis vingt ans. Et surtout, il s’étonna de pouvoir à nouveau s’exprimer en japonais sans trop de difficultés alors qu’il pensait avoir tout oublié dans la pampa, ne parlant que l’espagnol avec les indios. Perdu au milieu des troupeaux, il aurait été bien incapable de seulement dire konichiwa dans le cas où un samouraï se fut égaré dans les vastes plaines sud-américaines.
Les lumières de la circulation dessinaient une guirlande rouge et blanche discontinue entre les deux rives de la Sumida. Les images du passé se télescopaient avec celles que Gutxi observait à travers la vitre. Le décalage horaire le maintenait dans un état de semi-veille où les souvenirs côtoyaient la réalité. Ils se superposaient au hasard comme les cartes d’un jeu que l’on aurait battues, et dont les figures seraient empilées dans le désordre.
Tamae était morte alors qu’il était au secret en prison. Il ne l’avait appris que huit ans plus tard, lors de son expulsion vers l’Argentine. Entre-temps, aucune nouvelle, aucune information, à part celles qu’on voulait bien lui prodiguer, n’était parvenue jusqu’à lui durant tous ces jours et ces nuits d’obscurité mentale et physique où il avait cru tourner fou.
Un gâchis de vies au nom d’un idéal utopique qui ne verrait jamais le jour : l’indépendance de l’Euskadie, le Pays Basque, au prix du sang et des larmes.