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Critique de R2N2


R2N2
20 février 2019
Quand Salut à toi ô mon frère de Marin Ledun est sorti, j'ai su que je devais le lire. Quand j'ai commencé à le lire, j'ai su que j'aurais envie d'en parler. Les raisons de vouloir le lire étaient nombreuses, dans le désordre et à simple usage d'exemple non exhaustif:

1/ Toutes les personnes dont l'avis me semblent généralement pertinent ont salué sa sortie.

2/ Un nouveau Marin Ledun, il n'y a nul besoin que quelqu'un en dise du bien pour avoir envie de le lire, il y a des auteurs dont le nom seul suffit.

3/ Un polar dont le titre vient d'une chanson des berruriers noirs, il n'en sort pas tous les quatre jeudis, ce serait bête de louper ça (par contre, hasard du calendrier, je viens de lire une scène d'un autre polar ou deux types attaquent une réunion de fachos en Hilux avec Porcherie à plein volume).

4/ Ma dernière expérience avec Marin Ledun, la lecture de Zone Est (oui je sais, il en a sorti plein depuis mais je ne les lit pas spécialement dans l'ordre et j'ai tendance à ne lire les livres que longtemps après leur sortie) m'avait laissé un goût mitigé. J'y retrouvais plein de qualités propres à l'auteur, mais le côté SF avec Cyborgs et consorts, ce n'est quand même pas mon truc, sans compter l'ambiance complotiste certes réaliste mais un peu lourde.

5/ Salut à toi ô mon frère était présenté comme différent du reste de l'oeuvre de Marin Ledun, plus léger et plus drôle. Moi qui avais découvert et apprécié l'auteur pour son terrible Les visages écrasés, ou encore pour son essai Pendant qu'ils comptent les morts écrit à quatre mains avec Brigitte Font, ça m'intéressait. Parce que jusqu'ici la première qualité que j'avais trouvé à l'auteur n'était pas franchement son côté joyeux luron (les rares traits d'humour étaient plutôt grinçant).

Le résumé éditeur

Gallimard présente ainsi cette parution :

«Un père, une mère et leurs six enfants. Deux filles, quatre garçons. Une équipe mixte de volley-ball et deux remplaçants, ma famille au grand complet. Neuf en comptant le chien. Onze si l'on ajoute les deux chats.»

La grouillante et fantasque tribu Mabille-Pons : Charles, clerc de notaire pacifiste, Adélaïde, infirmière anarchiste et excentrique, les enfants libres et grands, trois adoptés. le quotidien comme la bourrasque d'une fantaisie bien peu militaire.
Jusqu'à ce 20 mars 2017, premier jour du printemps, où le petit dernier manque à l'appel. Gus, l'incurable gentil, le bouc émissaire professionnel, a disparu et se retrouve accusé du braquage d'un bureau de tabac, mettant Tournon en émoi. Branle-bas de combat de la smala! Il faut faire grappe, retrouver Gus, fourbir les armes des faibles, défaire le racisme ordinaire de la petite ville bien mal pensante, lutter pour le droit au désordre, mobiliser pour l'innocenter, lui ô notre frère.

La claque

Dès l'ouverture du livre, j'ai pris une claque. Et en le refermant, c'est moi qui ai du faire la claque pour saluer l'artiste. Salut à toi ô mon frère est un de ces livres qui va à 100 à l'heure sans qu'on ait besoin qu'il nous mène où que ce soit, un de ces bouquins où il ne se passe rien et qui te tient pourtant accroché de la première à la dernière phrase.

Beaucoup de commentateurs ont mis en avant les personnages du livres, décrits comme fantasques, hauts en couleur… Ce n'est pas ce que je retiendrai. Des personnages ainsi présentés – à une époque, c'était à la mode de parler de personnages truculents – il y en a plein la littérature, noire ou non. Mais souvent, les personnages sont truculents parce que l'auteur nous le dit en toute lettre (version mauvais romans) ou parce qu'il écrit que tel personnage fait ceci ou dit cela, ce qui nous fait comprendre qu'il est truculent (version romans passables). Ça me fait alors une belle jambe (promis, un jour je vous mets les photos sur Instagram) de savoir que les personnages sont hauts en couleur, sans ressentir moi-même l'explosion de couleurs annoncée. Ici, l'explosion de couleurs est permanente, portée par une explosion constante de grands mots et de petites phrases.

J'ai toujours aimé la capacité de Marin Ledun à créer des ambiances, ce qui repose évidemment sur une écriture talentueuse. Je trouvais cependant parfois quelques lourdeurs dans son style, ici le roman a été écrit au stylo gonflé à l'hélium. L'univers un peu plus fantasque et moins glauque semble avoir libéré totalement l'écriture. On n'a pas eu le temps d'apprécier un jeu de mot qu'on jouit déjà d'une référence culturelle cocasse ou d'une remarque à croates acerbe avant d'être entraîné dans une danse endiablée par une série d'allitérations. Dis comme ça, ça fait un peu alignement de bons mots à la chaîne, mais c'est du bon boulot qui n'est pas fait par un gland. Il faut en effet une véritable maestria pour que le sens de la formule ne sombre pas à la démonstration répétitive et entraîne le lecteur sans le laisser souffler mais sans l'essouffler non plus. Marin Ledun manie parfaitement la langue, sachant aussi bien jouer du signifiant que du signifié et, le principal, du rapport entre les deux. Son roman renvoie en terme de maitrise bien des recueils de poésie au rang de rapport de gendarmerie.

L'écriture talentueuse sauve aussi le livre d'un écueil qui lui pendait au nez: en faire une fable gentillette desservie par l'excès de bons sentiments. le racisme et les préjugés, l'auteur ne nous répète pas que ce n'est pas très gentil, il les ridiculise et utilise ses personnage pour leur cracher un peu de bile bien acide à la gueule. Surtout, Salut à toi ô mon frère n'est pas une fable – qui sert une morale – mais une fresque, une tranche de vie très réaliste, n'en déplaise à celles et ceux qui se laissent duper par le ton un peu délirant, avec la crasse qu'il y a dedans parce qu'elle y est, point. En dehors de ça, l'intrigue… Il y en avait une? Oui, mais qu'est-ce qu'on en a à foutre?
Comparaison ne fait pas Loïc1

Plusieurs chroniqueurs ou queuses ont comparé la famille Mabille-Pons, au centre du roman, à la tribu Malaussène de Pennac. Sur le coup, mon mauvais esprit m'a fait me dire qu'à tous les coups cette comparaison était écrite noir sur blanc dans le dossier de presse diffusé par l'éditeur. C'est en fait encore plus drôle puisque Ledun lui-même fait cette comparaison dans le roman. Mais quand j'ai repris la main sur mon mauvais esprit, je me suis pris à me demander combien avaient consciemment repris la comparaison lue et quelle proportion l'avait fait sans même se rendre compte qu'elle ne venait pas de leur esprit mais qu'ils venaient de la lire. Parce que voilà, moi aussi je fonctionne beaucoup par association d'idées – et parfois de malfaiteurs – et je vois bien que ces associations se font plus en fonction de ce qui traine dans les sphères récemment assimilées de mon cerveau que des réels points communs entre les deux idées associées. Alors comme ça me fait marrer et que je trouvais la comparaison avec Pennac trop réchauffée pour la resservir, sans juger de sa pertinence initiale, je vous livre mes deux associations d'idées qui sont peut-être dues à mon cerveau mais peut-être, on ne sait jamais, qui pourraient aussi reposer sur des éléments tangibles.

En pleine lecture de Salut à toi ô mon frère, je ligotais cet article sur les jeu de mots de Goscinny dans Astérix (je sais lire deux choses à la foi, parce que je suis infâme). Ni une ni deux, mais noeud en double huit, j'ai fait le lien. Au coeur des blagues d'Astérix, se trouvent celles sur les noms de personnages. Ici, on a aussi un flic dont le nom de famille est Personne, ce qui donne évidemment lieu à des phrases drôles. Goscinny alimentait ses aventures gauloises d'anachronismes savoureux, Marin Ledun multiplie à l'inverse les références historiques et culturelles anciennes ce qui, appliquées à un contexte extrêmement contemporain donne un effet de décalage assez réussi. A part ça, pas grand chose, Ledun ne risque pas que Goscinny sorte de sa tombe pour porter plainte pour plagiat et cette comparaison ci, nul doute que si je n'avais pas lu l'article pile à ce moment elle ne me serait pas venue à l'esprit.

Probablement plus justifié le lien entre ce bouquin et ceux de Jean-Bernard Pouy, même si je ne peux nier que chez moi il soit sûrement partiellement guidé par une certaine obsession pour ce dernier. Il y a évidemment le goût pour les bons mots, pour les références culturelles et historiques parfois à tiroir, le jeu sur les sonorités et les rythmes des phrases. On retrouve aussi dans ce bouquin beaucoup de jeu avec les chiffres, dignes de l'oulipiste 2. Point commun encore, le fait d'avoir structuré une part non négligeable du récit autour d'un handicap de son personnage principal ou sa façon de passer d'un registre de langue à un autre utilisant autant les subtilité du langage courant que l'exotisme de mots trop rares et donc méconnus (tel le délicieux qualificatif rabelaisien d'agélaste). Point commun enfin, le talent et le plaisir offerts par la lecture.

En attendant avec impatience ma prochaine lecture d'un de ses romans3, comme on dit dans un des nombreux bleds où j'ai des attaches affectives: Bon vent à qui me salue!



1 Filouterie à l'attention du lectorat breton, de plus en plus poussé à l'exil de son Montparnasse d'origine vers Saint-Denis et consorts

2 dans ses remerciements de fin de bouquin, Marin Ledun cite d'ailleurs « Cécile Maugis et toute l'équipe des Nuits Noires d'Aubusson pour l'oulipisme décadent de leur presque papou »

3 Même si en réalité, plus qu'un de ses romans, c'est actuellement Mon ennemi intérieur, paru aux très tentatrices éditions du petit écart, qui me fait le plus baver »

Chronique initialement publiée sur https://romancerougenouvellesnoires.wordpress.com/2019/02/07/merci-a-toi-o-marin-ledun/
Lien : http://romancerougenouvelles..
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