Les premiers acteurs de la guerre sont ceux qui la font, la décident, la conduisent. Les hommes de guerre. Dès qu'une catégorie spécifique d'individus a tenu une place dédiée à ce type d'activité, la guerre est devenue une réalité militaire.
p. 37
Le “conflit” relève d'un antagonisme, d'une opposition de positions, d'opinions voire de sentiments entre des personnes et des groupes. Ces différends peuvent rester pacifiques et trouver des issues par le dialogue, la recherche de conciliation et de compromis. Ils peuvent aussi à l'inverse déboucher sur une impasse et, s'ils sont assez marqués, aller jusqu'à l'affrontement. C'est dans ce cadre que la “guerre” se définit en général. Le Petit Larousse fournit une définition communément admise en Occident : « La guerre est le recours à la force armée pour dénouer une situation conflictuelle entre deux ou plusieurs collectivités organisées, clans, factions ou États. »
La guerre implique donc l'emploi de moyens dans le cadre d'une organisation, celle des sociétés (et leurs dirigeants) comme celle des actions elles-mêmes dans l'accomplissement de la guerre. En d'autres termes, la guerre ne saurait se concevoir comme un geste improvisé d'individus, hors des cadres (et normes) de la société à laquelle ils appartiennent. Cette notion d'encadrement est fondamentale car elle introduit la possible légitimité du conflit organisé, et donc de la mort d'autrui portée par un acte politique et social.
p. 35
QUELLES GUERRES ?
Une incursion en terre historio-graphique ne relève pas d'un vain caprice. La guerre a été un des tout premiers sujets mis en récit par les hommes (certains hommes ou plutôt certains acteurs) et, en même temps, un thème dont des pans entiers ont été occultés pendant des millénaires. Le paradoxe n'est pas mince. Il est de surcroît lourd de conséquences dans l'écriture de l'histoire des sociétés orales européennes disparues. La guerre y a été très longtemps tue. Les explications tiennent à une mosaïque de raisons qui se sont combinées pour aboutir à des silences et à des erreurs.
L'Europe a développé une vision de l'histoire dont elle était le centre (supérieur), face au reste du monde (inférieur). Elle a choisi ses racines dans une filiation avec des sociétés de l'écrit, n'ayant d'ailleurs eu pendant longtemps aucune autre alternative.
p. 33
Au fond, mon objectif pour l'écriture de ce livre est double, inscrit dans une dynamique résultant à la fois d'une réalité subie (la guerre m'est tombée dessus) et d'un militantisme assumé (réduire l'histoire à celles des sociétés de l'écrit conduit à se tromper) : offrir de nouvelles perspectives sur l'écriture de l'histoire libérée de certains de ses carcans poussiéreux ; donner à comprendre la naissance de la guerre comme un acte technique et social, il y a plusieurs milliers d'années en Europe, dans un modèle à inventer.
p. 28
« L'histoire, science humaine »
L'historien n'a pas pour mission d'esquiver, surtout quand, au terme d'années d'études, il est confronté à une forme d'évidence. Il a alors le devoir de mobiliser les outils et les méthodes d'une démonstration, en s'appuyant sur ses sources, en proposant des résultats, des hypothèses. Selon la nature du sujet, l'enquête est plus ou moins délicate, tant du point de vue scientifique que du point de vue humain. La recherche distancie l'historien de son sujet d'étude. Lorsque ce dernier est encore “vivant” dans tous les sens du terme, encore présent, c'est bien sûr beaucoup plus compliqué. C'est ce qui se passe au Rwanda de manière aiguë ou dans d'autres contextes où la distanciation entre l'événement passé et la réalité actuelle ne s'est pas opérée. Une forme de télescopage des temporalités brouille les pistes, charge l'historien d'émotions, de sentiments. Le chercheur se met en retrait avant de pouvoir, éventuellement, reprendre le dessus sur l'individu. L'histoire est, pleinement, une science humaine et sociale.
[...]
Quelles formes de haine sont assez puissantes pour nier, dénier l'Autre au point de vouloir l'anéantir, le faire littéralement disparaître et l'annihiler à son propre regard ?
p. 20
Dans cet énorme corpus documentaire, certains vestiges se rapportent directement à la violence, et même à la guerre appréhendée comme conflit légitimé par la société et organisé par les hommes qui détiennent le pouvoir. Parmi les armes, la naissance de l'épée entre 1700 et 1600 avant notre ère, en différents points d'Europe, marque un moment clef. C'est le premier objet créé pour un usage dépourvu d'ambiguïté : blesser, tuer. L'étudier, c'est aborder des questions techniques, d'usages, de croyances, de sociétés et même de politique. Tel est le point de départ de cet ouvrage : « entrer en guerre par les armes »
p. 10