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Critique de audelagandre


J'ai découvert David Lelait-Helo à la fin de l'année 2021 avec son roman « Poussière d'homme ». J'avais alors pensé que ceux qui avaient beaucoup vécu, des bonheurs fous et des tragédies terribles devenaient de sacrés écrivains. J'étais impatiente de le découvrir dans un autre registre, différent de ces pages où il narrait l'amour fou que rien ne sépare. Dans « Je suis la maman du bourreau », nous sommes dans un répertoire bien différent. Une mère, Gabrielle de Miremont, profondément croyante, austère, aux émotions froides et dissimulées façonne depuis le plus jeune âge un bloc de terre glaise. À son image. Selon ses aspirations les plus profondes. Cette terre glaise prend peu à peu forme sous ses doigts. Elle deviendra prêtre. Son fils, Pierre-Marie sera le socle de toute une communauté, une vitrine familiale, une fierté absolue. « Il avait le regard de Dieu, bleu de ciel. (…) Une auréole l'entourait, nous entourait. Il était le meilleur de ma personne, son prolongement magnifié. Mon élu. » Ce fils entièrement modelé par sa mère comble toutes ses attentes. Il faut comprendre que cet homme n'est pas en position de choisir son destin, il n'a pas de libre arbitre. Il est un esclave consentant, un jouet, une marionnette. « Il devint prêtre sans jamais avoir eu le loisir d'imaginer un autre chemin, il s'était seulement laissé irradier par le profond désir de sa mère. (…) Il était le prêtre qu'on avait voulu qu'il fût, et la fierté de sa mère suffisait à le convaincre de son choix. Ignorant qu'en réalité il n'avait jamais fait aucun choix et marchait dans d'autres pas que les siens. »

Le roman s'ouvre sur l'extrait d'un carnet intime et par cet incipit qui donne le ton « Je suis passée de Dieu à Diable ». Un journal de vérité dont le lecteur retrouvera des extraits au fil de la narration. Il est bien question de l'histoire d'une famille racontée ici, principalement axée sur la narratrice Gabrielle, et sur son fils Pierre-Marie. Rapidement, au chapitre deux, le décès de ce dernier est annoncé par la gendarmerie. Quand ? Comment ? Pourquoi ? Il faudra remonter onze jours avant sa mort pour comprendre ce qui s'est réellement passé dans les alcôves familiales et revenir au commencement, lorsqu'un article dénonçant les agissements de prêtres pédophiles a été publié par Cédric Lautet, journaliste. Croix de bois, croix de fer, si tu mens tu vas en enfer, Gabrielle veut faire la lumière sur ces horribles accusations qui mettent à mal sa foi, et touchent l'édifice tout entier de sa propre existence. « Gabrielle de Miremont montait dans les tours quand elle sentait attaqué cet ancien monde aux remparts desquels elle s'était toute sa vie cramponnée. »

Dans ce roman court, mais d'une remarquable densité et d'une admirable profondeur, David Lelait-Helo fait écho au rapport Sauvé qui a mis au grand jour les abus sexuels pratiqués par certains hommes de Dieu au sein de son Église. Il y décrypte plusieurs chemins de croix : celui d'une mère, celui d'une victime, celui de la justice des hommes et de celle de Dieu, celui du « secret dans le secret du secret. » le portrait de Gabrielle de Miremont est criant d'humanité, depuis sa raideur repoussante du début, à sa volonté de comprendre, à son coeur qui s'ouvre totalement face aux paroles d'un inconnu. Cette femme, qui voit tous ses idéaux réduits en cendres, sa vie entière remise en question par un scandale qui éclabousse tous les croyants, représente à mes yeux, la quintessence de l'intelligence émotionnelle. David Lelait-Helo lui donne le rôle sublime de celle qui croit, mais qui n'est pas aveuglée par sa foi même si les accusations perpétrées la bousculent et mettent à mal ses certitudes. En son intime conviction, telle un juré dans un procès, elle veut savoir. Elle choisit la vérité et ce choix est certainement le plus difficile de sa vie.

J'entends d'ici les cris et les rugissements « ah non, je ne veux pas lire ça, la pédophilie dans l'Église ça va bien ! »… Ferez-vous partie de ceux qui veulent savoir ou de ceux qui détournent le regard ? Contrairement au film de Ozon « Grâce à Dieu » qui démontre bien la volonté de calmer les victimes et pour l'Église d'enterrer les accusations, le livre de David se place totalement du côté des victimes et de la femme qui a engendré le monstre. « Je suis la maman du bourreau » dit sans filtres. Les mots gisent sur le papier et avec eux les images, et les conséquences. Les implications résonnent tel un glas qui sonne sans fin. Outre ce face-à-face saisissant, bouleversant entre une mère et une victime, le roman explore brillamment l'impact dévastateur sur la Foi : « Le prêtre en m'abusant m'a volé ma relation à Dieu ». Plus fort encore et révélateur des dégâts perpétrés : « Je vous assure, madame, que ma foi était entière et Dieu à la première place dans mon coeur. Pourtant Il n'a pas empêché que je sois sali, Il a autorisé que le pire me soit imposé. Je ne vois que deux explications à ce supplice, soit Dieu est capable de punir un coeur pur, soit Il n'existe pas. Dans ces deux cas de figure, ma foi est souillée, mon espérance malmenée. Ma blessure spirituelle reste béante, je ne crois plus. Presque plus. » Je ne suis pas croyante, mais je me suis longuement interrogée sur cette question et je dois saluer cette approche si pertinente.

Enfin, et c'est là aussi le propos du livre, que reste-t-il du statut de mère lorsqu'on a engendré un monstre ? À l'instar de l'Église qui préfère régler ses affaires, « loin des regards, loin des tapages… », il doit en être de même dans une relation mère-enfant. La confrontation est incontournable et cruciale pour chacun. Ce face-à-face terrible, bouleversant, lourd de conséquences m'a littéralement crevé le coeur. Ce qui se joue là est aussi répréhensible qu'équitable. C'est ici que s'affrontent la mère et la maman…

« Je suis la maman du bourreau » est un pari : noircir deux cents pages pour aborder une thématique difficile en développant différents angles : l'amour maternel, la consternation, les promesses brisées, le pardon, la condamnation, la justice, la foi, la reconstruction, la résilience. David Lelait-Helo le fait de manière directe et sans fioritures. C'est sans doute cela qui déclenche les émotions. J'ai aimé le portrait de cette femme qui évolue pour terrasser ses croyances, qui accepte d'entendre la voix d'un inconnu parce qu'elle lit au fond de ses yeux la vérité de ses mots. J'ai aimé le chemin pris par l'auteur qui est celui de dire sans phare les atrocités. J'ai aimé la façon qu'il a eue d'exprimer les implications sur la foi. Les carnets intimes de Gabrielle, disséminés tout au long du récit apporte de l'authenticité à son monde qui s'écroule, et au coeur de cette mère qui s'effondre. Sans nul doute, « Je suis la maman du bourreau » deviendra un texte de référence dans la mise en lumière des actes pédophiles au sein de l'Église.

Lien : https://aude-bouquine.com/20..
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