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Critique de Rodin_Marcel


Doris Lessing (1919-2013) "Alfred et Emily" publié en 2008 aussi bien dans la langue originale qu'en français, traduction de Philippe Giraudon (cop. Flammarion, éditions "j'ai lu")

C'est là le premier ouvrage que je lisais de cet auteur : dans les premières pages, j'étais souvent à deux doigts d'arrêter. En effet, le livre commence par une narration de ce qu'aurait pu et dû être la vie de ses parents s'ils ne s'étaient pas rencontrés. Ces parcours sont décrits avec cette consternante mièvrerie typique des vieilles anglaises et des mauvais traducteurs : les enfants sont "délicieux", les robes "merveilleuses", la seconde mère "roucoule" en voyant la fiancée (p. 48) etc etc. Dans les premières pages, j'ai poursuivi en me disant que – tout de même – si l'auteur avait reçu le prix Nobel de littérature en 2007, ce ne devait pas être pour ce genre de roman à l'eau de rose.
Rien ne nous est épargné, depuis la fière jeune-fille riche tenant tête à son père pour devenir simple infirmière des miséreux alors qu'elle pourrait devenir rien moins que pianiste soliste (p. 43), jusqu'au splendide mariage de cette brave fille avec le grand chirurgien de réputation mondiale, puis, devenue veuve, la création d'une fondation pour les enfants pauvres (p. 104).

Mais des phrases comme "il décida qu'il agirait suivant les circonstances et continua de manger des toasts" (p. 35), la prise de conscience d'Alfred et Betsy coincés dans le mariage (p. 64-65) ou – brusquement et sans fioriture – "elle avait envie de demander : est-ce que vous vous amusez au lit ?" (p. 72), ou encore la narration aujourd'hui quasi incompréhensible de la bataille des coiffures pour refléter le conflit turco-serbe (p. 114), ainsi que par exemple l'anecdote de la femme "trayant" son propre lait pour le donner à une chatte (p. 138), bref, tous ces éléments disparates suffisent à motiver le lecteur pour qu'il vienne à bout de ce pensum de quelques 162 pages.

Heureusement, car c'est après que le livre devient intéressant, et même de plus en plus intéressant, dans une sorte de crescendo s'étendant jusqu'à la fin de l'essai de compréhension tenté par Doris Lessing pour relater et comprendre la vie de ses parents. Il y a là des remarques vraiment bien senties, bien amenées, bien vues voir citations).

Ainsi de son père, amputé d'une jambe dans les tranchées en 1914-1918 : elle ne parle pas seulement de la blessure physique, mais aussi et surtout de la commotion, de la dépression que son père assuma pendant le reste de sa vie pour avoir eu la "chance" (!) d'être amputé à la veille de la bataille de Passchendaele durant laquelle tous les autres soldats de son régiment furent tués, sans exception, si bien qu'il se trouvait être le seul survivant... ce qui le taraudait. Toujours au sujet des séquelles de la Grande Tuerie, voir la citation des pages 200-201, ainsi que celle de la page 297.

Notons, de la page 196 à la page 199, une liste des livres qu'elle a lu durant son enfance, précieuse indication de ce que lisaient alors les jeunes filles d'éducation anglaise.

Des passages entiers (par exemple pp. 210 et seq) sur l'un des thèmes les plus prisés par Doris Lessing, la relation mère-fille. Tout un poème !

Parmi tant d'autres richesses, citons encore par exemple le portrait d'un groupe de jeunes-femmes contemporaines de Doris Lessing, pp. 222-223 (voir citation)

Ce livre constitue un témoignage indispensable pour qui veut comprendre la génération de nos grands-mères, qui furent loin, très très loin d'être les «potiches» caricaturées (dénigrées) par certaines post-soixante-huitardes ignares ayant gobé certaines «mémoires d'une jeune-fille rangée».
Et comme de surcroît, c'est fort bien écrit et traduit, il n'y a aucune raison de se refuser ce plaisir de lecture…
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