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Critique de gerardmuller


Vaincue par la brousse
Doris Lessing (1919-2013)
Prix Nobel 2007
Nous sommes en Rhodésie à la fin des années 1940. Mary Turner, une jeune citadine blanche, mariée à Dick Turner petit fermier dans le veld est retrouvée assassinée. Rapidement Moïse le domestique noir avoue le crime aux policiers venus enquêter. Un voisin parmi les premiers témoins arrivés sur les lieux, Charlie Slatter ne paraît pas étonné de l'événement. Slatter est un personnage grossier, impitoyable en affaires, et il a des visées pour reprendre la ferme de Dick qui a complètement perdu la raison en découvrant la mort de sa femme. Gagner de l'argent est l'obsession de Slatter.
Tony Marston est le régisseur ; nouvel arrivant dans l'exploitation, il affirme aux policiers détenir la clef permettant de connaître le mobile du crime. Dès le début il a été touché par le destin de ces trois personnages, Dick, Mary et Moïse, qui lui inspiraient une immense pitié, une pitié objective et il en voulait aux circonstances qui s'étaient liguées contre eux.
Pour Denham le policier qui enquête, l'essentiel est de sauver les apparences et de vite aboutir à la condamnation à mort de Moïse, car la civilisation des blancs n'admettrait jamais qu'une personne de race blanche et en particulier une femme, pût entretenir des rapports humains, dans le bien ou dans le mal, avec un noir. Marston, à l'inverse, a la conviction qu'il faut remonter très loin en arrière pour découvrir les causes du drame.
L'auteure nous ramène alors quelques décennies dans le passé pour découvrir la vie de Mary, jeune citadine frêle à la personnalité complexe, restée célibataire après avoir poursuivi des études sérieuses et trouvé un emploi stable et intéressant. C'est finalement le regard qu'ont les autres sur elle qui la conduit à chercher un mari.
Dick est un personnage timide, complexé par sa pauvreté et le mal qu'il a à gérer son exploitation afin de la rendre pécuniairement viable. Lui aussi aimerait bien partager sa vie avec une femme, mais depuis longtemps, il n'ose en raison des conditions précaires de son existence. Il aimerait attendre une situation meilleure.
Leur rencontre fortuite aboutit malgré tout rapidement à un mariage. Mary n'a jamais connu d'homme et Dick, le premier venu, n'a pas une grande connaissance de la psychologie féminine. Et dès la première nuit passée ensemble, on devine une des racines du mal :
« Après tout, ce n'était pas si terrible, se dit-elle quand tout fut terminé. En fait, ce n'était rien pour elle, rien du tout. Elle s'attendait à être blessée, forcée, et elle se sentait soulagée de constater qu'elle n'éprouvait rien. Elle était capable d'accorder maternellement le don d'elle-même à cet humble étranger tout en restant hors d'atteinte. Bien des femmes, et d'instinct elle était du nombre, possèdent à un point incroyable la faculté de rester absente des rapports sexuels mais de telle façon que leur mari tout en étant blessé et humilié ne puisse en aucune façon leur en faire grief. »
Mary aime Dick à sa façon mais ne s'adapte pas et l'ennui a vite fait de faire partie de sa vie quotidienne ainsi qu'une certaine oisiveté. La mésentente avec le personnel noir est récurrente. Mary ne peut pas imaginer qu'un blanc soit capable d'éprouver un sentiment quelconque à l'égard d'un indigène et le personnel la hait. Elle a le sentiment de n'être pas à sa place ici au milieu de ces terres où les travailleurs noirs sont étroitement mêlés à leur existence tout en restant de parfaits étrangers.
Bien que son union avec Dick soit un échec et qu'il n'existe entre eux aucune compréhension réelle, elle s'est habituée à cette solitude à deux. Elle voudrait un enfant pour avoir un but dans sa vie mais Dick estime que ce n'est pas le moment en raison de ses dettes. Peu à peu elle mesure leur échec sur le plan intime, leurs divergences quant à la gestion de la ferme, et elle se représente clairement ce que sera leur avenir. Elle éprouve malgré tout une indulgente pitié à l'égard de Dick. Sombrant dans la dépression, elle abandonne toutes ses prérogatives et lentement la maison se met à respirer la misère et l'incurie. Sa raison en vient à vaciller. L'entrée en scène d'abord de Moïse le serviteur puis du régisseur Tony Marston va précipiter un dénouement qui est long à se dessiner dans la dernière partie du récit qui est une lente descente aux enfers.
Un récit passionnant parfois insoutenable, mettant en scène des personnages racistes, torturés, obsédés ayant un certain goût pour l'autodestruction. La lamentable condition des noirs au temps de la colonisation anglaise en Afrique australe est aussi un des fils conducteurs de ce roman oppressant.
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