« N’ai-je pas mis trop de dignité dans ma réponse ? » murmure la reine à son avocat. Il la tranquillise : « Madame, soyez vous même et vous serez toujours bien. »
Son regard se porte-t-il alors sur les tapisseries évoquant les dramatiques amours de Jason et Médée et qui, la veille, ont horriblement choqué un jeune étudiant encore inconnu du nom de Goethe ? C’est peu probable. Marie-Antoinette connaît mal la mythologie. Elle a été sûrement plus sensible à un incident tragi-comique : le déluge qui s’est répandu par les fissures du plafond sur les vêtements d’apparat et les coiffures des dames françaises venues l’accueillir…
En réalité, Marie-Antoinette n’éprouvait aucune envie de participer directement à cette cérémonie qui ne concernant que son époux. Il fut donc convenu qu’elle y assisterait en simple spectatrice, comme jadis Catherine de Médicis. Mais elle savait fort bien qu’elle attirerait tous les regards à cette fête qui lui semblait la plus admirable des mises en scène de la monarchie.
Marie-Antoinette continuait de mener sa vie comme elle l'entendait, consacrant le minimum de temps à ses obligations de représentation. Revendiquant pour une reine le droit à une existence privée, elle entendait se comporter aussi librement que les premiers de ses sujets dont la société fait ses délices. Considérant l'Etiquette comme le symbole d'un temps barbare, elle ne pouvait admettre qu'elle ne s'appartenait pas mais qu'elle appartenait tout entière au royaume de France ; que, placée au dessus des mortels dans une société hiérarchisée à l'extrême, le moindre de ses gestes avait valeur d'acte public.
La nature reprend ses droits et la femme-chef d’Etat n’a qu’à attendre stoïquement sa délivrance. Mais comme Marie-Thérèse déteste perdre son temps, elle tire parti de l’incommodité du moment pour se faire arracher une dent gâtée.