Dès les premiers chapitres, j'ai eu la sensation de découvrir en Jeanne, le personnage principal de ce roman, un nouvel avatar de Frédéric Moreau, ce cher personnage flaubertien à qui j'ai, à chaque fois que je relis
L'Education sentimentale, encore plus envie de botter les fesses devant sa force d'inertie
et bien m'en a pris, puisque le clin d'oeil stylistique de fin confirme mes impressions, clin d'oeil parfaitement amené par Celia Levi, alors que d'autres sont disséminés au fil du récit : je pense notamment aux diverses déambulations parisiennes décrites, ou encore les conversations de fin de soirée, pseudo-intellectuelles, car souvent très creuses, voire absurdes, qui ont rappelé à mon souvenir, avec beaucoup de plaisir, d'autres parties du roman de Flaubert, sans pour autant en être de simples imitations, bien entendu .
Jeanne est en effet une jeune femme qui, tout comme Frédéric, arrive de sa province natale, ici la Bretagne, pour faire ses armes, professionnelles comme personnelles, à Paris. Elle va très vite comprendre, en commençant à travailler comme accueillante à
la Tannerie, ancienne tannerie de Pantin reconvertie en centre culturel qui mêle lieux d'expressions diverses et variées, galeries d'expositions, et plus encore au fil du roman, que cela n'ira pas de soi. Lorsque l'on n'est pas parisien et que l'on n'a pas les codes de la vie parisienne, il faut bien du temps pour s'acclimater. L'arrivée à la capitale est donc pour Jeanne, discrète, plutôt passive, particulièrement rêveuse, un coup de massue, une désillusion qui n'ira qu'en s'accentuant, notamment car tout ce en quoi elle croyait, ambition, reconnaissance du travail accompli, amitié, amour… sera balayé d'un revers de main cruel, mettant en travers de son chemin la réalité de la société française, et parisienne, au XXIème siècle.
Tout y est en effet artifice, hypocrisie, superficialité, que ce soit dans les comportements au travail ou en dehors : les évènements du roman se passent alors qu'un camp de migrants s'est installé au niveau du canal jouxtant
la Tannerie, avant son démantèlement, puis lors de l'apparition de
Nuit Debout et des premières manifestations qui ont suivi, contre les diverses réformes, et qui ont été réprimées très violemment. La majorité des personnages s'implique dans ces évènements d'un seul mouvement, celui d'un effet de mode qui est scruté par tous dans les premiers temps, mais qui lasse très vite en raison de la trop grande énergie qu'il demande. Les seuls qui sont sincères, qui refusent le monde qui leur est proposé, qui s'engagent réellement dans les causes à défendre, comme Saïd, qui symbolise à mon sens le plus justement cet état de fait, disparaissent progressivement de la surface du récit pour n'être que des êtres évanescents, croisés au détour d'une rue, d'une station de métro, comme si l'omniprésence d'un climat surfait, nombriliste, éminemment cynique, était désormais la norme de notre société actuelle.
Et c'est ce climat, grâce à des descriptions et des portraits précis, toujours motivés bien que nombreux, riches sans être rébarbatifs, que l'auteure parvient à retranscrire, souvent sans jugement, parfois avec une petite pointe d'ironie mordante – du moins en ai-je eu l'impression -. Retranscription qui se fait par l'intermédiaire d'une plume fluide, qui suit à la perfection les questionnements et états d'âme de son personnage principal, dans la découverte, avec toute sa candeur juvénile, de ce climat, finalement, et malheureusement, banal.
La Tannerie est en somme un roman social comme je les apprécie particulièrement. Je remercie les éditions Tristram et Babelio de m'avoir permis de le découvrir grâce à la dernière Masse Critique.
Lien :
https://lartetletreblog.com/..