AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
>

Critique de michfred


Un chroniqueur spécialisé dans la presse people et les horoscopes bidons, copain comme cochon avec Louboutin et Beigbeider, grand ordonnateur des nuits parisiennes poudrées et arrosées, ex-pilier des Bains-Douches et qui raconte ses amours torrides avec Eva Ionesco, une ancienne Lolita sulfureuse des années 70, aujourd’hui quinquagénaire un peu enrobée, qui défraya la chronique avec les photos pornographiques prises d’elle par sa propre mère, Irina Ionesco, et en tira un film récent - plutôt réussi d’ailleurs : vous, je ne sais pas, mais moi, ça me ferait plutôt fuir…

Un romancier qui se lance sans vergogne, après un an de mariage avec la nouvelle Shirley Temple de la photo kitch et pédophilique, dans une hagiographie amoureuse – parce que c’était elle, parce que c’était moi- en affirmant haut et fort faire de la littérature, surtout après la parution des beaux éloges conjugaux, à la fois fervents et pudiques d’un Jean-Jacques Schuhl –INGRID CAVEN - ou d’un Jérôme Garcin –THEATRE INTIME - : vous, je ne sais pas, mais moi cela me donne a priori envie de rigoler…

Pourtant, sur la foi d’une critique emballée, j’ai lu d’une traite le livre de Simon Libérati et j’avoue être tombée sous le charme…

Pas grand’ chose à se mettre sous la dent côté mère abusive et potins nauséabonds : amateurs de romans à scandales, passez votre chemin !
Quelques parisianismes récidivants et une tendance de l’auteur à ne pas se prendre pour un quartier de mandarine, mais là non plus rien de vraiment exaspérant, c’est une petite faiblesse attendrissante qu’on lui pardonne tant le livre est, à lui seul, une sorte d’OVNI…

Objet Violemment Néo Irréaliste.

Je me suis pincée pour y croire : Libérati et Ionesco me sont apparus comme la réincarnation de Nadja et Breton, ou je ne m’y connais pas : rêves, prémisses, prénoms, rencontres, lieux, tiers médiateurs, prophéties, coïncidences et géographie parisienne aux allures de Labyrinthe borgésien - tout destinait magiquement les deux amants à s’appartenir pour la vie …même si la rencontre a mis 35 ans à s’opérer. Cet ascendant surréaliste, cet abandon délibéré à la tyrannie du hasard et de l’irrationnel, l’auteur les reconnaît plus d’une fois : « Je retrouvais sans m’y être attendu l’atmosphère de mon enfance, influencée par le surréalisme et cette force particulière qu’ont certains hommes de dégager les croyances anciennes de la décadence universitaire pour leur rendre leur valeur de pari. »

Mais les liens avec l’Amour Fou ne s’arrêtent pas à Breton : Libérati est un malade de Nerval, au point d’avoir quitté, six ans avant sa rencontre avec Eva, son Paris des Bains-Douches pour le poétique Valois, terre de SYLVIE - une autre histoire d’amour récurrent, fatal et féerique : « Ainsi puis-je refaire à intervalles réguliers le voyage nocturne aux fêtes d’archers de Loisy et à la maison de Mortefontaine dont la treille brille pour moi d’un fanal éternel. » et l’auteur précise :« Avant même que l’événement capital, rencontre ou accident, se produise, le décor doit être planté. »

Je n’étais pas au bout de mes surprises ! D’abord l’enchantement du style :une longue phrase, quasi proustienne, qui vous envoûte et vous entraîne dans ses méandres, une érudition raffinée – les romantiques « noirs », Nerval en tête mais aussi Barbey, Gautier, Villiers – il y a du Véra dans cette Eva- et insolemment éclectique – j’ai retrouvé avec délice quelques considérations sur les pages de garde des anciennes éditions Tintin où l’auteur, enfant, cherchait « dans la galerie des personnages qui s’y trouvent accrochés sur fond bleu » des têtes qu’il ne connaissait pas et qui lui indiquaient « des albums inconnus, peut-être introuvables, un monde de découvertes »- ou encore une analyse subtile et ironique du charme un peu pervers de la Comtesse de Ségur dans la vieille Bibliothèque Rose - Sophie et ses malheurs, en héroïne néo-sadienne…après Justine ou les malheurs de la vertu !!

Avec raffinement, finesse, subtilité, donc, Simon Libérati nous conte l’histoire un peu magique, éternelle et romantique d’une Rencontre fondamentale, transcendante, entre un noceur narcissique et une femme-enfant un peu schizo –les trois voix d’Eva ravissent la diva- non pas celle, à mon sens, d’une rédemption – la cocaïne et la bibine restent leurs meilleures copines- mais celle, très faustienne, d’un Pacte –Enfer ou Ciel, qu’importe !- et d’un Pacte éminemment amoureux et littéraire : lui l’aide à faire un deuxième film à partir des souvenirs de son enfance brisée, elle lui donne sa personne pour qu’il la transmue en personnage romanesque.. Un honnête marché, somme toute, avec le Désir et la Folie comme garants…

Il y a même du Méphisto chez Libérati : je te rendrai ta jeunesse –un lifting en l’occurrence- et ta silhouette – un coach et un régime- , et tu me laisseras te tromper avec mon autre maîtresse, la littérature…. que je tromperai à son tour en ne lui parlant que de toi !

Oui, vraiment, une heureuse surprise : j’ai balayé tous mes a priori et je me suis gentiment enivrée, en suivant les conseils d’un dandy merveilleux, grand frère tutélaire de Simon Libérati :

« Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. »

Et Baudelaire ajoutait :

« Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! »

Rajoutons à cet étourdissant cocktail : de hasard, de magie, de mystère, de désir …

EVA est l’élixir qu’il vous faut !
Commenter  J’apprécie          645



Ont apprécié cette critique (49)voir plus




{* *}