Comme chaque année, la rentrée littéraire me laisse perplexe! A côté de belles découvertes, il est des choix d'édition qui me sont incompréhensibles.
Ce livre est mis en avant dans tous les papiers presse et présenté comme une petite pépite à ne pas rater. C'est à n'y rien comprendre...
Je l'ai reçu en avant-première par un partenariat d'éditeur, c'est dire que j'étais très flattée de cette confiance et motivée pour cette lecture avec l'esprit ouvert. Je connaissais un peu le sujet, et j'avais vu le film concernant cette mère photographe d'une Lolita des années 70.
J'ai essayé, je me suis accrochée, j'ai fait preuve de persévérance... Jusqu'à cette bouffée d'énervement qui m'a fait refermer ma liseuse d'un "clac" rageur!
Illisible, inintéressant, pontifiant, égocentrique ! Pour moi, rien à sauver. Ce n'est pas de la littérature et je ne sais pas d'ailleurs ce que c'est...
Un livre de cercles parisiens qui écrivent pour eux même, et qui voudraient nous faire croire que si nous n'aimons pas, c'est vraiment que notre neurone de lecteur est à l'arrêt ( à se demander si certains critiques lisent les livres...)
Bref! Vous aurez compris que je ne n'ai pas du tout aimé. Ca n'engage que moi. À vous de voir...
(C'était mon petit énervement du mois! :-)) et que j'ai eu la surprise de voir confirmé, après écriture de ce post, par l'émission du Coups de coeur des Libraires)
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Un chroniqueur spécialisé dans la presse people et les horoscopes bidons, copain comme cochon avec Louboutin et Beigbeider, grand ordonnateur des nuits parisiennes poudrées et arrosées, ex-pilier des Bains-Douches et qui raconte ses amours torrides avec Eva Ionesco, une ancienne Lolita sulfureuse des années 70, aujourd’hui quinquagénaire un peu enrobée, qui défraya la chronique avec les photos pornographiques prises d’elle par sa propre mère, Irina Ionesco, et en tira un film récent - plutôt réussi d’ailleurs : vous, je ne sais pas, mais moi, ça me ferait plutôt fuir…
Un romancier qui se lance sans vergogne, après un an de mariage avec la nouvelle Shirley Temple de la photo kitch et pédophilique, dans une hagiographie amoureuse – parce que c’était elle, parce que c’était moi- en affirmant haut et fort faire de la littérature, surtout après la parution des beaux éloges conjugaux, à la fois fervents et pudiques d’un Jean-Jacques Schuhl –INGRID CAVEN - ou d’un Jérôme Garcin –THEATRE INTIME - : vous, je ne sais pas, mais moi cela me donne a priori envie de rigoler…
Pourtant, sur la foi d’une critique emballée, j’ai lu d’une traite le livre de Simon Libérati et j’avoue être tombée sous le charme…
Pas grand’ chose à se mettre sous la dent côté mère abusive et potins nauséabonds : amateurs de romans à scandales, passez votre chemin !
Quelques parisianismes récidivants et une tendance de l’auteur à ne pas se prendre pour un quartier de mandarine, mais là non plus rien de vraiment exaspérant, c’est une petite faiblesse attendrissante qu’on lui pardonne tant le livre est, à lui seul, une sorte d’OVNI…
Objet Violemment Néo Irréaliste.
Je me suis pincée pour y croire : Libérati et Ionesco me sont apparus comme la réincarnation de Nadja et Breton, ou je ne m’y connais pas : rêves, prémisses, prénoms, rencontres, lieux, tiers médiateurs, prophéties, coïncidences et géographie parisienne aux allures de Labyrinthe borgésien - tout destinait magiquement les deux amants à s’appartenir pour la vie …même si la rencontre a mis 35 ans à s’opérer. Cet ascendant surréaliste, cet abandon délibéré à la tyrannie du hasard et de l’irrationnel, l’auteur les reconnaît plus d’une fois : « Je retrouvais sans m’y être attendu l’atmosphère de mon enfance, influencée par le surréalisme et cette force particulière qu’ont certains hommes de dégager les croyances anciennes de la décadence universitaire pour leur rendre leur valeur de pari. »
Mais les liens avec l’Amour Fou ne s’arrêtent pas à Breton : Libérati est un malade de Nerval, au point d’avoir quitté, six ans avant sa rencontre avec Eva, son Paris des Bains-Douches pour le poétique Valois, terre de SYLVIE - une autre histoire d’amour récurrent, fatal et féerique : « Ainsi puis-je refaire à intervalles réguliers le voyage nocturne aux fêtes d’archers de Loisy et à la maison de Mortefontaine dont la treille brille pour moi d’un fanal éternel. » et l’auteur précise :« Avant même que l’événement capital, rencontre ou accident, se produise, le décor doit être planté. »
Je n’étais pas au bout de mes surprises ! D’abord l’enchantement du style :une longue phrase, quasi proustienne, qui vous envoûte et vous entraîne dans ses méandres, une érudition raffinée – les romantiques « noirs », Nerval en tête mais aussi Barbey, Gautier, Villiers – il y a du Véra dans cette Eva- et insolemment éclectique – j’ai retrouvé avec délice quelques considérations sur les pages de garde des anciennes éditions Tintin où l’auteur, enfant, cherchait « dans la galerie des personnages qui s’y trouvent accrochés sur fond bleu » des têtes qu’il ne connaissait pas et qui lui indiquaient « des albums inconnus, peut-être introuvables, un monde de découvertes »- ou encore une analyse subtile et ironique du charme un peu pervers de la Comtesse de Ségur dans la vieille Bibliothèque Rose - Sophie et ses malheurs, en héroïne néo-sadienne…après Justine ou les malheurs de la vertu !!
Avec raffinement, finesse, subtilité, donc, Simon Libérati nous conte l’histoire un peu magique, éternelle et romantique d’une Rencontre fondamentale, transcendante, entre un noceur narcissique et une femme-enfant un peu schizo –les trois voix d’Eva ravissent la diva- non pas celle, à mon sens, d’une rédemption – la cocaïne et la bibine restent leurs meilleures copines- mais celle, très faustienne, d’un Pacte –Enfer ou Ciel, qu’importe !- et d’un Pacte éminemment amoureux et littéraire : lui l’aide à faire un deuxième film à partir des souvenirs de son enfance brisée, elle lui donne sa personne pour qu’il la transmue en personnage romanesque.. Un honnête marché, somme toute, avec le Désir et la Folie comme garants…
Il y a même du Méphisto chez Libérati : je te rendrai ta jeunesse –un lifting en l’occurrence- et ta silhouette – un coach et un régime- , et tu me laisseras te tromper avec mon autre maîtresse, la littérature…. que je tromperai à son tour en ne lui parlant que de toi !
Oui, vraiment, une heureuse surprise : j’ai balayé tous mes a priori et je me suis gentiment enivrée, en suivant les conseils d’un dandy merveilleux, grand frère tutélaire de Simon Libérati :
« Il faut être toujours ivre, tout est là ; c'est l'unique question. Pour ne pas sentir l'horrible fardeau du temps qui brise vos épaules et vous penche vers la terre, il faut vous enivrer sans trêve. »
Et Baudelaire ajoutait :
« Mais de quoi? De vin, de poésie, ou de vertu à votre guise, mais enivrez-vous! »
Rajoutons à cet étourdissant cocktail : de hasard, de magie, de mystère, de désir …
EVA est l’élixir qu’il vous faut !
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Dans "Eva", bouleversant "roman" admirablement écrit, Simon Liberati fait l’éloge de son épouse, l’actrice Eva Ionesco, réalisatrice en 2011 de "My Little Princess" et fille de la fantasmatique photographe Irina Ionesco.
Lire la critique sur le site : LaLibreBelgique
Le romancier dévoile deux femmes en une : Eva la survivante, ex-enfant-objet exploitée par une mère photographe, et la muse, qui lui inspire un amour absolu.
Lire la critique sur le site : Telerama
L'histoire glaçante d'Eva côtoie l'immense douceur de l'auteur amoureux. Sans mièvrerie, il dresse un portrait de sa compagne, ses défauts, ses crises, son obsession pour son image, ses sautes d'humeurs, ses failles, ses opérations de chirurgie esthétique, son regard. Eva est le récit passionnant et dérangeant de cet amour inconditionnel.
Lire la critique sur le site : LePoint
L’écriture d’EVA, ce travail d’élaboration d’une figure romanesque à partir d’une figure vivante que j’avais d’abord élaborée comme un personnage romanesque avant de la retrouver en réalité, me débarrassait de cette impression désagréable qui me prenait naguère lorsque l’objet de mes préoccupations me paraissait s’échapper de mon influence.
Il fallait l'inceste - le mal familial des Ionesco, il fallut Shirley Temple et la jeunesse solitaire d'Irène entourée de poupées, il fallut les femmes-enfants des années 1950-1960 et leurs soeurs dévoyées les nymphettes des années 1970, chantées par Serge Gainsbourg, dont David Hamilton donna à la même époque une version poster plus commerciale, plus floue, moins trouble, il fallut la mode rétro, il fallut la libéralité sans lendemain des moeurs des années 1970, les paradoxes anti-oedipiens et fouriéristes du second féminisme, l'expérience du vice acquise à Pigalle quand Irina Ionesco fut danseuse nue au Tabarin, l'influence sadienne de la dernière exposition surréaliste et les avancées techniques des Japonais en matière de boîtier Reflex pour que ce phénomène unique qui eut pour nom Eva se produise et soit célébré. Il fallait aussi le génie d'un être, ou plutôt de deux êtres, car si l'impulsion, le désordre vint d'Irina, il est sûr à mes yeux que l'inspiration venait d'Eva ; vieille inspiration, vieux charme nymphique remontant à l'Antiquité païenne, à Pannychis, à Myrto, à Callirhoé, à Drusilla, dont Toulet dans La Jeune Fille Verte et Nabokov dans Lolita ont eu l'intuition et dont Irina Ionesco fut le révélateur, en bonne photographe, c'est-à-dire en bon esprit négatif.
Une extraordinaire mémoire, entretenue par des lectures sans nombre, faisait d’Eva la Béatrice du Paradis perdu. Je découvrais que ce que j’avais regardé avait été vu par une autre – la même que j’osais à peine regarder à l’époque, tant elle me paraissait farouche-, avec une sensibilité tout aussi forte que la mienne. La vieille apparition, restée jeune comme le sont à jamais les esprits, s’était mise à parler et ce qu’elle me racontait n’était pas différent de ce que j’avais saisi de loin ou même imaginé à distance, par intuition.
L'épaisseur du passé, les dizaines de milliers de jours et de nuits passés l'un sans l'autre, la complexité des motifs qui nous avaient conduits puis liés l'un à l'autre, l'emmêlement des fils de nos consciences - Eva m'aimant à cause de l'évocation exacte, exacte parce que poétique, donc inventée et inspirée par elle tout à la fois, que j'avais réussie d'une enfance commune que nous n'avions pourtant pas partagée - donnaient à nos baisers une densité extraordinaire, celle d'une semence qui allait pousser en nous au risque de nous mélanger totalement. L'abandon amoureux si naturel, si définitif que je sentais dans le corps que je serrais contre moi, ou plutôt qui se collait à moi, avait éteint d'un souffle toutes mes réserves, avant même que le taxi traverse la Seine au pont de la Concorde. C'était un plongeon de l'être dans l'être que seul l'art permet quand il se mêle d'épouser la vie.
Il y a une part de foi dans l'amour qui se prononce de manière délibérée en soi comme un voeu. Il reste secret mais aussitôt énoncé il prend valeur d'absolu. Il ne s'agit pas de dire "je t'aime" mais d'accepter au fond de soi d'aimer l'autre, c'est à dire de ne plus différencier le sort de l'autre du sien propre. Passé un certain âge, ce saut devient plus difficile, sauf quand le passé est engagé tout entier, dans toute son épaisseur, couche après couche, lecture après lecture, rencontre après rencontre dans le choix présent, le justifiant sans doute possible.
Extrait du livre audio « Performance » de Simon Liberati lu par l'auteur. Parution numérique 23 août 2023.
https://www.audiolib.fr/livre/performance-9791035413491/